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Page:Revue des deux mondes - 1937 - tome 40.djvu/786

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dans l’éternelle pénurie qui le harcelait ; et, afin de constituer un parti plus sortable, la douloureuse opération à laquelle il se serait soumis pour l’extraction de ses mauvaises dents qu’un irréprochable ivoire remplaça ; et encore l’audience qu’il obtint de Napoléon III pour revendiquer la possession de l’île de Malte comme héritier et descendant du grand-maître de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem.

Cette descendance lui tenait au cœur, bien qu’elle lui eût été contestée. Elle le fut dans un procès qu’il intentait à je ne sais quelle direction de théâtre et à l’auteur d’une pièce historique où figurait le Villiers de l’Isle-Adam du règne de Charles VII. Il protestait contre le rôle odieux et antipatriotique que l’on prêtait au personnage, lequel, à la vérité, dans les troubles du temps, s’était bien rangé un moment au parti des Anglais et du duc de Bourgogne, mais n’avait pas tardé à faire sa soumission au roi. L’intimé riposta en mettant en demeure le comte Auguste Villiers de l’Isle-Adam de fournir ses titres, tous les parchemins et papiers de famille authentiques et certifiés de son arbre généalogique remontant jusqu’à ces profondeurs reculées et obscures du xive siècle. C’était peut-être beaucoup exiger.

Un propos est à citer qui le peint assez bien. C’était lors d’une des fameuses redoutes qu’aux derniers jours de l’Empire Arsène Houssaye donnait dans le bel hôtel de l’avenue de Friedland. Toutes les illustrations parisiennes s’entassaient dans les immenses salons, monde des lettres et Académie, artistes, hauts fonctionnaires, et, gardant sous le satin du loup et les plis du domino un commode anonymat, les beautés lés plus renommées de la Cour des Tuileries, les plus illustres princesses et étoiles du théâtre. Paul de Cassagnac dansait comme un fou et, au dernier tour, se jetait à genoux aux pieds de sa valseuse, sans que ce délire de jeunesse émût ou gênât personne. Pendant une accalmie de la soirée, Villiers s’était assis au piano et, les yeux dans le rêve, esquissait en sourdine une de ces phrases mélodiques où il semblait se perdre dans l’infini. C’est alors que Jules Claretie, papillonnant çà et là, vint se pencher vers lui au-dessus de l’instrument : « Ces dames désireraient une valse… » Villiers, toujours l’œil extatique, le sourire aux lèvres, et le regardant en-face, ne cessa de pianoter. Claretie insistait : « Ces dames attendent