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Page:Revue des deux mondes - 1937 - tome 40.djvu/789

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se cherchaient un guide, un drapeau plutôt qu’un maître, et pensèrent l’avoir trouvé dans l’auteur des Poèmes antiques.

Leconte de Lisle habitait alors boulevard des Invalides. L’appartement, au cinquième, n’était pas vaste ; et l’on eût été à l’étroit dans le petit salon, sans la salle à manger qui offrait un dégagement les jours d’affluence. La vue s’étendait au levant, de l’autre côté du boulevard, sur les jardins de l’ancien hôtel Biron, qu’occupait alors l’aristocratique institution des Oiseaux.

Des bronzes, quelques bibelots, hommages d’artistes, épars sur la cheminée et les meubles ; des livres en foule rangés dans des vitrines, quelques-uns reliés, la plupart soigneusement et économiquement habillés d’un papier rouge glacé, faisaient tout le luxe du salon qui servait aussi de cabinet de travail. Avec un sourire aimable, une voix fluette et chantante qui gardait des gracilités éternellement subsistantes d’enfant, Mme Leconte de Lisle accueillait les visiteurs. Il ne me souvient pas d’autres dames ; Mme Judith Gautier peut-être et Mme de Heredia, tout nouvellement mariée au poète des Trophées : ce jeune ménage s’était installé non loin de là, avenue de Breteuil, le disciple auprès du maître.

Tel je vis celui-ci, alors qu’il approchait de la cinquantaine, tel à peu près, par un phénomène de conservation rare, il devait demeurer jusqu’à ses derniers jours. Son image ne se peut autrement définir qu’en l’appelant sculpturale : de robuste et haute stature, quelque chose dans l’attitude générale de redressé, qui mettait hommes et choses à une sorte de perspective lointaine ; un front bombé, déjà dégarni comme pour mieux montrer sa rondeur intelligente, la légère couronne des boucles blondes balayant le collet ; le nez finement droit ; dans ses joues pleines et rasées, le beau dessin des lèvres qui s’arquaient et se modelaient si fidèlement aux nuances de tout ce qu’il disait, curieuses surtout à observer quand il contait quelqu’une de ces anecdotes mordantes où il excellait ; et enfin, sous la barre avancée des sourcils, deux yeux d’une profondeur limpide et d’un bleu un peu froid de mer polaire. L’abus de la lecture (car il lisait du matin au soir ; « Il faut beaucoup lire », me disait-il) les avait mis à mal : l’un était perdu, sans qu’il y parût, d’ailleurs ; l’autre était