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Page:Revue des grands procès contemporains, tome 3, année 1885.djvu/380

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LE PROCÈS DES FLEURS DU MAL.


Après le titre, je lis l’épigraphe ; là est toute la pensée de l’auteur, là est tout l’esprit du livre, c’est un second litre pour ainsi dire, plus explicite que le premier et qui l’explique, le commente et le développe :


On dit qu’il faut couler les exécrables choses
Dans le puits de l’oubli et au sépulchre encloses,
Et que par les escrits le mal résuscité
Infectera les mœurs de la postérité ;
Mais le vice n’a point pour mère la science,
Et la vertu n’est pus mère de l’ignorance.

(Th. Agrippa d’Aubigné, les Tragiques, livre II)


La pensée intime de l’auteur, vous la trouverez, encore plus nettement marquée, dès les premiers vers ; il les adresse au lecteur comme un avertissement, et voici ce qu’il lui dit :


La sottise, l’erreur, le péché, la lésine,
Occupent nos esprits et travaillent nos corps.
Et nous alimentons nos aimables remords
Comme les mendiants nourrissent leur vermine.

Vos péchés sont têtus, nos repentirs sont lâches ;
Nous nous faisons payer grassement nos aveux ;
Et nous rentrons gaiment dans le chemin bourbeux,
Croyant par de vils pleurs laver toutes nos taches.

C’est le Diable qui tient les fils qui nous remuent !
Aux objets répugnants nous trouvons des appas.
Chaque jour vers l’Enfer nous descendons d’un pas,
Sans horreur, à travers des ténèbres qui puent.


Transformez cela en prose, messieurs, supprimez la rime et la cesure, recherchez ce qu’il y a au fond de ce langage puissant et imagé, quelles intentions s’y cachent ; et dites-moi si nous n’avons jamais entendu tomber ce même langage du haut de la chaire chrétienne, et des lèvres de quelque prédicateur ardent ; dites-moi si nous ne trouverions pas les mêmes pensées, et quelquefois peut-être les mêmes expressions dans les homélies de quelque rude et sévère père de l’Église.

Voilà donc son programme, si je puis me servir de ce mot ; c’est la guerre déclarée aux vices et aux bassesses de l’humanité, et comme une malédiction lancée à toutes les hontes qui


Occupent nos esprits et travaillent nos corps


Il s’indigne parce que


Nos péchés sont têtus, nos repentirs sont lâches


et c’est véritablement le langage élevé d’un moraliste qu’il tient, dans cette première page où il entre en communication avec le lecteur pour stigmatiser si rudement


La sottise, l’erreur, le péché, la lésine…


Voilà tout ce qu’il veut poursuivre, tout ce qu’il veut chatier dans des vers vengeurs et, certes, ce n’est pas pour de pareils sentiments que vous le condamneriez.