Page:Revue des questions historiques, Tome X, 1871.djvu/342

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ment de voir les coupables échapper à sa vindicte, qu’il ne tenait aucun compte des lois établies et s’assurait de leurs personnes, mais uniquement, disait-il, pour les empêcher de se soustraire au juste jugement de l’Église. C’est ainsi qu’il colora le guet-apens d’Anagni, où un Pape, souverain indépendant, fut arrêté dans ses propres États, sans déclaration de guerre, par une bande d’étrangers mêlés à des insurgés des Romagnes, marchant sous la bannière fleurdelisée du roi de France. Ces honnêtes gens, ces bons chrétiens venaient simplement ajourner Boniface VIII devant un futur concile imaginaire ; ils pillèrent bien un peu, et enlevèrent le trésor pontifical, mais c’était pour ôter à un pontife indigne les moyens de corrompre la chrétienté. Boniface mourut des suites des mauvais traitements qu’il reçut. Les auteurs de cette scène furent excommuniés ; quant à Philippe le Bel, il se déclara étranger à ce scandale : on avait outrepassé ses ordres ; il ne voulait que le bien de l’Église. Il fut relevé de toutes les censures qu’il aurait pu encourir pour ce fait. Nogaret, le chef de la bande, assuma toute la responsabilité et le fit hautement. Il se déclara, comme son patron, le champion de la foi : loin de se défendre, il accusa, et, soutenu par le roi de France, il continua à la mémoire de Boniface VIII le procès qu’il avait intenté de son vivant au pontife intrus, hérétique, simoniaque, meurtrier, chargé, en un mot, de tous les crimes. Ce procès, soutenu par ordre de Philippe le Bel, devint, ainsi que je l’ai déjà dit, entre les mains du roi, une arme qu’il suspendit sur la tête de Clément V, pour lui arracher la condamnation des Templiers et la concession de tout ou partie des biens de l’Ordre. Nous allons entrer dans cette phase nouvelle. Philippe dira à Clément : « Donne-moi les Templiers, et j’abandonne Boniface VIII. » Eh bien, Clément V, à la merci du roi de France, entouré de pièges, sans sécurité, tint bon, et ne céda sur aucun point essentiel : c’est ce qui nous reste à montrer. Nous assisterons à une lutte inégale, impitoyable, du fort contre le faible ; et c’est le faible qui, appuyé sur la morale, triomphera du fort.


E. Boutaric.

(La fin à la prochaine livraison.)