Page:Revue des religions, Vol 2, 1892.djvu/128

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Peu à peu le récit s’anime.. Maintenant Eabani déroule le merveilleux spectacle de ses souvenirs, nets et précis comme des visions, que Gilgamès, l’attention surexcitée, suit, pour ainsi dire, avec de grands yeux tout ébahis : «Vois-tu, Gilgamès ? — Oui, je vois ! — Étendu sur un lit de repos, il boit l’eau pure, celui qui a été tué dans la bataille. Vois-tu, Gilgamès ? — Oui, je vois ! — Son père et sa mère soutiennent sa tête et sa femme se penche sur lui avec amour... Celui au contraire dont le cadavre gît sans sépulture dans la plaine, vois-tu, Gilgamès ? — Oui, je vois ! — celui dont l’ombre ne repose point dans la terre, et est laissée à l’abandon, vois-tu Gilgamès ? — oui, je vois ! — eh bien ! celui-là est réduit à manger les débris des plats, les reliefs de la table, tout ce qui est jeté à la voirie ! [1] » Ainsi, devant Gilgamès, une voie de salut restait ouverte : chercher une mort glorieuse dans de nouveaux combats, tout en ayant soin de se ménager des amis, dont le cœur lui restât fidèle jusque dans la mort [2].

Telle est la conclusion de ce poème, bien faite pour inspirer l’amour des vertus guerrières et le respect des morts, ces deux sentiments sur lesquels reposait toute la vie antique, digne couronnement d’une œuvre destinée à glorifier la race et la religion chaldéennes.


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  1. Tab. XII, Col. VI, 1 4 10. Les 1-3 sont très obscures à cause de leur état fragmentaire.
  2. Ce morceau, à cause de sa forme lyrique même, pourrait être regardé comme une vision prophétique des félicités réservées à Gilgamès dans l’autre vie. Ainsi l’épopée se terminerait sur une sorte d’apothéose idéale du héros.