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LE PROBLÈME DE L’EUROPE CENTRALE

songent à cette alternative, l’une des plus formidables qui aient pesé sur eux dans tout le cours de leur histoire.

Feront-ils la guerre pour la succession d’Autriche ? S’ils s’y décident, il est vraisemblable qu’ils y entraîneront l’Italie. Car l’Italie, si elle parvient à évincer l’Allemagne de Trieste, peut y prétendre elle-même et obtenir comme prix de sa coopération à la victoire Franco-Russe non seulement le Trentin, mais la Dalmatie. La France espèrera recouvrer l’Alsace-Lorraine et la Russie, s’emparer de la Pologne Prussienne. Mais victoire ou défaite, résultats certains ou indécis, quelles pertes d’hommes et d’argent, sans parler de nos colonies ! Car il serait un peu naïf à l’Angleterre, qui aurait bien plus à redouter d’une victoire Franco-Russe que d’une victoire Allemande, de rester paisible spectatrice d’une pareille lutte. Et alliée au Japon, sa flotte ravagerait aisément l’Indo-Chine et attaquerait Madagascar, la Réunion ou la Nouvelle-Calédonie.

On dira — et l’ironie est facile : c’est là du prophétisme. À quoi bon échafauder ainsi d’avance tout un ensemble de suppositions qu’un petit fait imprévu fera peut être écrouler demain ? Les choses tournent, en général, tout autrement que ne le pensent les contemporains et bien rares ont été ceux qui ont su, dans notre siècle, prévoir le cours des événements prochains. D’accord. Il n’en est pas moins vrai que nous assistons depuis deux ans, aux plus singulières évolutions de la politique internationale. La Triple alliance n’est plus qu’un fantôme. Entre Vienne et Berlin, les relations officielles ont de subites tensions et les relations secrètes sont bien plus tendues encore. On a intérêt pourtant à vivre en bonne harmonie, aujourd’hui comme hier. Au contraire, la Russie et l’Autriche qui sont rivales dans les Balkans et dont la rivalité est sérieuse et durable, se rapprochent chaque jour davantage. La France et l’Italie ont, d’un commun accord, effacé le souvenir de leurs querelles. Enfin l’empereur Guillaume n’a pas craint de froisser le sentiment populaire, d’aller à l’encontre des vœux de ses sujets, pour lier son sort à celui de l’Angleterre ; et par une avance directe aux États-Unis qui venaient de lui marquer une dédaigneuse hostilité, il indique qu’une haute pensée politique domine ses préférences et ses rancunes. Qu’est-ce donc qui rend les gouvernements si sages et si avisés et les amène à se tendre