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LA SOURIEUSE



Il y avait autrefois une fille très-belle, mais qui était très-froide.

Peu à peu toutes ses amies s’étaient éloignées d’elle à cause de sa grande froideur, mais elle avait pas mal d’envieuses à cause de sa beauté, et quand on lui rapportait de méchants propos sur son compte, elle avait l’habitude de répondre fort tranquillement « C’est la jalousie. »

Or, il advint qu’un pauvre garçon, un cornemuseux du village voisin, se déclara amoureux d’elle. Franchement, il n’était pas indigne de sa main. Il était pauvre, c’est vrai, mais elle n’était pas plus riche que lui ; d’ailleurs, il connaissait assez son métier pour en tirer un bon parti. Au surplus, il était de mine agréable, avec de beaux yeux noirs et de charmants cheveux, un joli vêtement de velours, des jambes bien guêtrées et des rubans de couleur autour de son chapeau. Il lui fit la cour, mais la belle resta froide. Il fut repoussé dédaigneusement.

Toutefois, on put la voir un beau matin à l’église, en robe blanche à beaucoup de volants, avec de riches affiquets, un gros bouquet au sein, une couronne d’oranger très-délicate au front, et des souliers d’un satin si pâle que celles qui la virent s’avancer ainsi au milieu des bancs vers l’autel en restèrent émerveillées pour la vie. Mais elle n’épousait qu’un homme laid, un veuf, dont on pouvait compter les cheveux sur le dessus de la tête. Seulement, c’était un des riches de l’endroit, ayant une