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sur l’abîme. Or, cette situation est celle de la France. M. Rubichon, dans son livre intitulé : Mécanisme social, a prouvé jusqu’à l’évidence cette effrayante vérité. Il est vrai que la pauvreté lue. D’après le docteur Villermé, sur vingt mille individus nés à la même époque, dix mille dans les départements riches, dix mille dans les départements pauvres, la mort, avant quarante ans, frappe cinquante-quatre individus sur cent dans les premiers, soixante-deux sur cent dans les seconds. À quatre-vingt-dix ans, le nombre de ceux qui vivent encore est, sur dix mille, de quatre-vingt-deux dans les départements riches, et dans les départements pauvres de cinquante-trois seulement. Vain remède que ce remède affreux de la mortalité ! Toute proportion gardée, la misère l’ait naître beaucoup plus de malheureux qu’elle n’en moissonne. Encore une fois, quel parti prendre ? Les Spartiates tuaient leurs esclaves. Galère fit noyer les mendiants. En France, diverses ordonnances rendues dans le cours du XVIe siècle ont porté contre eux la peine de la potence[1]. Entre ces divers genres de châtiments équitables, on peut choisir. Pourquoi n’adopterions-nous pas les doctrines de Malthus ? Mais non. Malthus a manqué de logique : il n’a pas poussé jusqu’au bout son système. Êtes-vous d’avis que nous nous en tenions aux théories du Livre du meurtre, publié en Angleterre au mois de février 1839, ou bien à cet écrit de Marcus, dont notre ami M. Godefroi Cavaignac a rendu compte, et où l’on propose d’asphyxier tous les enfants des classes ouvrières, passé le troisième, sauf à récompenser les mères de cet acte de patriotisme ? Vous riez ? mais le livre a été écrit sérieusement par un publiciste-philosophe ; il a été commenté, discuté par les plus graves écrivains de l’Angleterre, il a été enfin repoussé avec indignation comme une chose atroce et pas du tout risible. Le fait est qu’elle n’avait pas le droit de rire de ces sanguinaires folies, cette Angleterre qui s’est vu acculée par le principe de concurrence à la taxe des pauvres, autre colossale extravagance. Nous livrons à la méditation de nos lecteurs les chiffres suivants, extraits de l’ouvrage de E. Bulwer : England and the English :

Le journalier indépendant ne peut se procurer avec son salaire que 122 onces de nourriture par semaine, dont 13 onces de viande.

Le pauvre Valide, à la charge de la paroisse, reçoit 151 onces de nourriture par semaine, dont 21 onces de viande.

Le criminel reçoit 239 onces de nourriture par semaine, dont 38 onces de viande.

Ce qui veut dire qu’en Angleterre, la condition matérielle du criminel est meilleure que celle du pauvre nourri par la paroisse, et celle du

  1. Voir les auteurs cités par M. Edelestand Duméril dans sa Philosophie du Budget, tom. 1er, p. 11.