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Serait-ce que le bon marché doive être maudit, considéré en lui-même ? Nul n’oserait soutenir une telle absurdité. Mais c’est le propre des mauvais principes de changer le bien en mal et de corrompre toutes choses. Dans le système de la concurrence, le bon marché n’est qu’un bienfait provisoire et hypocrite. Il se maintient tant qu’il y a lutte : aussitôt que le plus riche amis hors de combat tous ses rivaux, les prix remontent. Qui ne connaît l’histoire des Messageries ? La concurrence conduit au monopole : par la même raison, le bon marché conduit à l’exagération des prix ; ainsi, ce qui a été une arme de guerre parmi les producteurs, devient tôt ou tard pour les consommateurs eux-mêmes, une cause de pauvreté. Que si à cette cause on ajoute toutes celles que nous avons déjà énumérées et, en première ligne, l’accroissement désordonné de la population, il faudra bien reconnaître comme un fait incontestable, comme un fait né directement de la concurrence, l’appauvrissement de la masse des consommateurs.

Mais, d’un autre côté, cette concurrence, qui tend à tarir les sources de la consommation, pousse la production à une activité dévorante. La confusion produite par l’antagonisme universel dérobe à chaque producteur la connaissance du marché. Il faut qu’il compte sur le hasard pour l’écoulement de ses produits, qu’il enfante dans les ténèbres. Pourquoi se modérerait-il, surtout lorsqu’il lui est permis de rejeter ses pertes sur le salaire si éminemment élastique de l’ouvrier ? Il n’est pas jusqu’à ceux qui produisent à perte, qui ne continuent à produire, parce qu’ils ne veulent pas perdre la valeur de leurs machines, de leurs outils, de leurs matières premières, de leurs constructions, de ce qui leur reste encore de clientelle, et parce que l’industrie, sous l’empire du principe de concurrence, n’étant plus qu’un jeu de hasard, le joueur ne veut pas renoncer au bénéfice possible de quelque heureux coup de dé.

Donc, et nous ne saurions trop insister sur ce résultat que nous avons déjà signalé souvent, la concurrence force la production à s’accroître et la consommation à décroître, donc elle va précisément contre le but de la science économique : donc elle est tout à la fois oppression et folie.

Quand la bourgeoisie s’armait contre les vieilles puissances qui ont fini par crouler sous sa main, elle les déclarait frappées de stupeur et de vertige. Eh bien, elle en est là aujourd’hui ; car elle ne s’aperçoit pas que tout son sang coule, et la voilà qui de ses propres mains est occupée à se déchirer les entrailles.

Où irions-nous donc par cette pente, si nous n’avions le courage de la remonter ? Nous irions à la constitution d’une petite aristocratie de marchands. Et cette aristocratie elle-même, insolente coterie de richards superposée à une nation de pauvres, comment se pourrait-elle