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compassion, et on n’a pas assez de couronnes pour une danseuse. Voilà, voilà pourquoi l’éducation du peuple est un danger ! Voilà pourquoi nos collèges et nos écoles ne versent dans la société que des ambitieux, des mécontents et des brouillons. Mais qu’on apprenne à lire au peuple dans de bons livres ; qu’on lui enseigne que ce qui est le plus utile à tous est le plus honorable ; qu’il n’y a que des arts dans la société, qu’il n’y a pas de métiers ; que rien n’est digne de mépris que ce qui est de nature à corrompre les âmes, à leur verser le poison de l’orgueil, à les éloigner de la pratique de la fraternité, à leur inoculer l’égoïsme. Puis, qu’on montre à ces enfants que la société est régie par les principes qu’on leur enseigne : l’éducation sera-t-elle dangereuse, alors ? On a fait de l’instruction un marche-pied apparent pour toutes les sottes vanités, pour toutes les prétentions stériles, et on crie anathème à l’instruction ! On écrit de mauvais livres, appuyés par de mauvais exemples, et l’on se croit suffisamment autorisé à proscrire la lecture ! Quelle pitié !

Résumons-nous. Une révolution sociale doit être tentée :

1° Parce que l’ordre social actuel est trop rempli d’iniquités, de misères, de turpitudes, pour pouvoir subsister longtemps ;

2° Parce qu’il n’est personne qui n’ait intérêt, quels que soient sa position,son rang, sa fortune, à l’inauguration d’un nouvel ordre social ;

3° enfin, parce que cette révolution, si nécessaire, il est possible, facile même, de l’accomplir pacifiquement.

Dans le monde nouveau où elle nous ferait entrer, il y aurait peut-être encore quelque chose à faire pour la réalisation complète du principe de fraternité. Mais tout du moins serait préparé pour cette réalisation, qui serait l’œuvre de l’enseignement. L’humanité a été trop éloignée dé son but pour qu’il nous soit donné d’atteindre ce but en un jour. La civilisation corruptrice dont nous subissions encore le joug a troublé tous les intérêts, mais elle a en même temps perverti tous les esprits et empoisonné les sources de l’intelligence humaine. L’iniquité est devenue justice ; le mensonge est devenu vérité ; et les hommes se sont entre-déchirés au sein des ténèbres.

Beaucoup d’idées fausses sont à détruire : elles le seront, gardons-nous d’en douter. Ainsi, par exemple, le jour viendra où il sera reconnu que celui-là doit plus à ses semblables, qui a reçu de Dieu plus de force ou plus d’intelligence. Alors il appartiendra au génie, et cela est digne de lui, de constater son légitime empire non par l’importance du tribut qu’il lèvera sur la société, mais par la grandeur des services qu’il lui rendra. Garce n’est pas à l’inégalité des droits que l’inégalité des aptitudes doit aboutir : c’est à l’inégalité des devoirs.

LOUIS BLANC.