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REVUE FRANCO-AMÉRICAINE.

En effet, ce dont a le plus besoin la femme isolée, désireuse d’apporter dans sa vie le bénéfice d’un travail résolu, — ce qui lui est le plus nécessaire de trouver partout, c’est la confiance, c’est le respect. Or, ce n’est pas encore assez des vieilles suspicions laissées par des femmes d’un temps encore tout près de nous, pour qui la carrière était le prétexte et la séduction le moyen ; il lui faut encore franchir la zone du ridicule que les féministes entretiennent soigneusement autour de la question. Grâce à ce beau système, avant d’arriver à se faire prendre au sérieux, à trouver la considération tranquille dont elle veut qu’on use envers elle, la femme qui veut travailler a contre elle, chez nous, les hommes sceptiques et les amazones bruyantes. C’est trop, en vérité.

Et ceci augmente, justifie cela. — Hélas, nos plus pressantes instances n’obtiendront jamais qu’elles se tiennent tranquilles, qu’elles laissent à l’évolution féminine, étroitement liée à l’évolution sociale démocratique, le temps et la paix nécessaires à tout progrès.

Alors ? Alors résignons-nous à vivre avec le mal qu’elles nous font, et à prouver le mouvement tel que nous le savons possible, en marchant, sans défaillance comme sans précipitation, sur la route très large qui nous est ouverte.

L’impulsion bonne est donnée par le souci d’éducation qu’ont fait prévaloir les Legouvé, les Camille Sée, les Gréard.

Non que l’idéal sur ce point soit atteint : mais le fait même d’avoir reconnu la nécessité d’éclairer l’esprit féminin est une sûreté pour l’avenir. Nous y prenons le droit d’espérer, en somme et malgré tout, que la France donnera en cette matière encore la note précise de la mesure et du goût sage. Par cela seul que les femmes seront plus instruites, elles prendront une plus juste appréciation des choses : et quand elles auront toutes reçu l’éducation rationnelle et intégrale, elles ne concevront rien de plus noble ni de plus grand que leur rôle dans la famille ; et elles s’y tiendront jalousement, tout en se tenant prêtes à suppléer l’homme, si celui-ci manque aux siens. Seul, en effet, un désastre justifiera pour la femme son isolement, et elle ne le considérera que comme un cas exceptionnel, — non comme la situation normale, ainsi qu’on voudrait en ce moment l’affirmer.

Certainement, alors, les femmes ne trouveront partout que déférence, respect et portes grandes ouvertes devant l’effort réfléchi et justifié. — Il n’y a rien de tel, au contraire, que les revendications perçantes de la gent féministe, pour mettre tout le monde en méfiance et faire barricader les portes, au grand dam des honnêtes pèlerins.

Ô cordial maitre Lacour, oracle de ces dames, dites-leur donc que sur le trépied sacré vous avez entendu des voix, et que les dieux commandent le silence. — Vous nous rendriez si grand service !

Anna Lampérière.