resplendissent les Alpes, tandis que le vaste Danube s’épand dans les plaines au milieu d’inextricables saulaies et de grasses prairies. Et dès lors les symphonies de Bruckner auront ce caractère fluvial, ces débordements, ces progressions essoufflantes pour les poitrines citadines, accoutumées à respirer des atmosphères moins vitales, et cet apparent désordre qui n’est que l’ordre naturel avec la variété d’une création, tous les recoins enchanteurs du bocage, les petites fleurs des prés, le scintillement des neiges lointaines et les nuages au flanc de la montagne. Les plus beaux paysages musicaux qui existent, il les faut aller chercher aujourd’hui chez Mahler. Mais du temps de Bruckner les siens étaient les plus vastes et les plus vibrants. Ils décrivaient une terre d’Autriche vue à travers une âme qui en faisait un paradis terrestre autrichien (Symphonies II, III et IV notamment).
Le jeune homme demeura quatre ans à Saint-Florian, où sans doute l’instruction et l’éducation du cœur et de l’esprit furent plus soignées que l’éducation des manières : je dois à la vérité de déclarer que toute sa vie Bruckner mangea avec les doigts et prisait après les avoir léchés. Cela ne change rien aux neuf symphonies. Beethoven était à peine plus civilisé. À partir de 1841, il dut gagner son pain comme maître d’école de village, ce qui était alors moins aisé qu’aujourd’hui. Maître d’école à Windhag-sur-Maltsch, il recevait deux florins par mois (à peine cinq francs). Le reste, il le gagnait à seconder un ménétrier qui faisait danser les paysans. Et les paysans continueront à danser dans les symphonies ; mais qui les reconnaîtrait dans les trios ensoleillés des premières ! Je dis des premières, car, en avançant en âge, si le bon vieillard ne perdit rien de sa grâce, il prit du monde et de son art une conception encore plus élevée si possible, de telle sorte que l’on a de certains morceaux l’impression d’une descente du Saint-Esprit et que l’on a pu dire de la VIIe symphonie, par exemple, qu’elle « fait descendre la foudre ». Les « scherzo » deviennent alors des rondes de titans.
Il est prouvé qu’en promenade, dès ce temps-là, le jeune maître d’école composait. On le rencontrait le long des sentiers tirant des rouleaux de papier de musique de son grand claque-oreilles. Je dois encore à la vérité de dire que Bruckner conserva