Page:Revue générale de l'architecture et des travaux publics, V1, 1840.djvu/10

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tique qu’il faut consulter, soit pour conduire à fin une construction difficile, soit pour faire progresser la science elle-même, en augmentant le nombre des faits sur lesquels elle s’exerce, et qui la fortifient en la constituant lentement.

Pour faire avancer la science aujourd’hui, il faut donc surtout multiplier les expériences ; il faut les réunir, les porter à la connaissance de tous : mais ceci suppose des rapports habituels entre les ingénieurs, entre les architectes, et entre les uns et les autres ; rapports qui n’existeraient que si les ingénieurs et les architectes étaient régulièrement organisés.

ABSENCE DES CONDITIONS DES PROGRÈS DE L’ART DE BATIR. — Dans l’état actuel des choses, les ingénieurs et les architectes du gouvernement, chacun dans sa spécialité, ont bien un centre où leurs projets vont se réunir pour être discutés ; mais l’action de ce centre se borne à peu près à cet examen. Quant aux architectes et aux ingénieurs civils, ils sont parfaitement isolés les uns des autres. Aussi, qu’en résulte-t-il ? Qu’un travail soit exécuté au fond d’une province, personne n’en est instruit ; et lorsque de grands obstacles ont été vaincus, que de grandes difficultés, qui jusque là ne s’étaient pas présentées, ont été surmontées, toute l’expérience acquise est perdue pour la science, toute l’énergie développée par le constructeur passe sans avoir eu d’autre utilité qu’un résultat satisfaisant obtenu dans un cas donné. Ces mêmes efforts seront repris à quelques pas de là, et un temps précieux sera employé à soulever les mêmes obstacles qui déjà s’étaient présentés, que déjà l’on avait surmontés.

Celui qui comprend la véritable mission de l’architecture ne peut pas observer, sans un sentiment pénible, le triste aspect que présente la surface de la plupart des contrées soumises depuis de longs siècles à l’action des peuples les plus avancés en civilisation. A l’état sauvage, ces mêmes pays, décorés de leur végétation puissante, irrégulière et pittoresque, offraient du moins tous les charmes d’une nature variée et luxuriante ; mais au fur et à mesure que l’industrie s’est développée, son action a modifié cet aspect primitif. L’art est rarement venu à son secours ; le grandiose de la nature vierge a graduellement disparu ; et aujourd’hui que les habitations sont assises à la place des anciennes forêts et qu’elles sont devenues les traits les plus saillants de nos campagnes, loin de servir à l’embellissement du pays, elles blessent le goût le moins délicat par leur laideur et leur saleté. Le voyageur reconnaît la proximité de nos villages à la malpropreté croissante et au mauvais état des routes, à ces mares d’eau croupissante qui envahissent quelquefois jusqu’à l’intérieur des maisons, infectent l’air de leurs miasmes fétides et malsains, et développent ces funestes épidémies qui déciment parfois la population de nos malheureuses campagnes.

Les vingt-deux millions de cultivateurs qui labourent le sol de la France, et dont le travail nourrit la population entière du pays, tout en fournissant la majeure partie des matières premières aux ateliers de l’industrie, sont à peine abrités contre l’intempérie des saisons.

Leurs demeures sont construites le plus souvent sans aucun égard aux prescriptions les plus simples de l’hygiène, et souvent aussi suivant des procédés à la fois contraires aux règles de la stabilité et aux principes d’une sage économie.

Il est vrai que depuis quelques années il s’est établi des comités l’agriculture, dont les efforts honorables tendent à améliorer cette position des choses ; mais c’est aux hommes de l’art à rechercher et à indiquer les procédés techniques par lesquels on doit y remédier. La nature ne s’est pas montrée avare envers nous : la France réunit les produits du Nord à ceux du Midi, et il ne faudrait qu’un peu plus de soin et d’art pour changer totalement l’aspect de la contrée, pour que chaque village devint l’ornement de la vallée ou de la montagne ; mais c’est la facilité de communication, c’est l’unité qui manque.

REMÈDE POUR OBVIER AUX EFFETS DE L’ISOLEMENT. — C’est en contemplant ce désordre, c’est en appréciant ces fâcheuses conséquences de l’isolement, que nous avons conçu la pensée d’y remédier, en constituant un centre, en faisant appel à tous les hommes de bien, à tous les hommes de science et d’art, afin qu’ils fassent converger à un foyer commun le fruit de leurs recherches et de leurs observations.

Une Revue périodique était la seule forme qui pût convenir à l’expression de cette association. Déjà depuis longtemps on fait peu de gros livres : c’est qu’à l’heure qu’il est, et en dépit du désordre qui règne dans les travaux intellectuels, l’esprit général de recherche est devenu tellement actif, que la science grandit avec une prodigieuse vitesse, et que les nouvelles découvertes de tous les jours rendent incomplets les ouvrages les plus consciencieux publiés de la veille. Il devient dès lors nécessaire de les compléter par des écrits périodiques, destinés à maintenir les hommes de l’art et ceux qui s’intéressent à l’art au courant de ses progrès pour ainsi dire quotidiens. Aussi convient-il que chaque ordre d’idées soit représenté dans la presse par un organe périodique, une Revue, qui puisse servir de lien entre les hommes spéciaux de tous les pays, en constituant entre eux une association intellectuelle au profit de la science, de l’humanité et d’eux-mêmes.

CONTENU DE LA REVUE, ET PERSONNES AUXQUELLES ELLE S’ADRESSE. — C’est donc une Revue que nous voulons fonder, une Revue générale de l’Architecture et des Travaux Publics, qui s’adressera, par son objet, à la fois aux ARCHITECTES, aux INGÉNIEURS, aux ARCHÉOLOGUES, aux INDUSTRIELS, aux PROPRIÉTAIRES, et enfin aux GOUVERNEMENTS, dont l’intérêt et le devoir sont de veiller en même temps sur la prospérité, le bien-être et la gloire des pays qu’ils administrent.

ARCHITECTES et INGÉNIEURS. — Aux personnes appelées à diriger les constructions publiques et privées, nous apporterons le fruit des études et des investigations des hommes éminents qui concourent à la rédaction de notre Revue ; nous les tiendrons au courant des inventions, des découvertes, des expériences et des écrits qui auront quelque rapport avec l’art de bâtir.

Nous ferons assister à l’exploitation des matières premières employées dans les constructions, et suivre les modifications qu’elles subissent dans les ateliers de l’industrie.

Après l’étude des matières premières en elles-mêmes, nous examinerons les lois de leur combinaison, et les formes qui en résultent.

Nous montrerons la corrélation intime qui existe entre la science et l’art, qui concordent comme doux vérités doivent nécessai-