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Page:Revue générale des sciences pures et appliquées, année 15, numéro 9, 1904.djvu/18

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chercher à répondre à quelques objections que peut soulever le principe même de l’institution des laboratoires de Mathématiques.

Il y a tout d’abord une question de rivalité professionnelle, si l’on peut dire, entre les Mathématiques et la Physique, sur laquelle je voudrais m’expliquer en toute liberté. Les physiciens ne vont-ils pas trouver que nous empiétons sur leur domaine ? ne sont-ils pas les seuls à avoir le droit de se servir d’une balance ou de posséder une machine d’Atwood ? devrons-nous engager avec eux une lutte rappelant les interminables procès entre corporations dont nous parlent les historiens des siècles passés ?

Il peut paraître superflu de soulever ces questions, auxquelles la réponse est trop évidente ; j’ai cependant entendu parler de discussions analogues qui se sont élevées entre les professeurs d’une même Faculté des Sciences (il ne s’agit pas de celle de Paris) ; je vois aussi, dans les programmes même, des traces de cette tendance aux luttes corporatives. Les éléments de la Mécanique sont enseignés deux fois aux élèves des sections C et D ; d’abord, en seconde, par le professeur de Physique ; ensuite, en première, par le professeur de Mathématiques. Chacun d’eux peut ignorer l’existence de son collègue ; aucun accord n’est prévu entre eux. Et j’entends d’ici un dialogue entre deux intransigeants des deux partis : « Je suis bien obligé d’enseigner la Mécanique vraie à mes élèves, dit le physicien ; pour mon collègue de Mathématiques, elle n’est qu’un prétexte à développer des formules algébriques et à enseigner la théorie géométrique des vecteurs. – Il faut bien que je revienne sur l’enseignement de Mécanique donné par mon collègue de Physique, répond le mathématicien ; il n’a aucun souci de la rigueur des raisonnements et se borne, d’ailleurs, aux quelques notions qui lui sont indispensables ».

Heureusement les intransigeants sont rares ; en fait, il y a de plus en plus accord entre mathématiciens et physiciens pour enseigner de la même manière les mêmes choses ; il est à souhaiter que cet accord devienne encore plus grand. Il serait désirable que les élèves sachent que le frottement existe, comprennent pourquoi on peut placer une échelle contre un mur vertical, etc.

Si la création de laboratoires en partie communs, se prêtant des appareils, utilisant même, dans un petit établissement, les mêmes outils, pouvait avoir pour résultat de rapprocher les physiciens et les mathématiciens, ce serait déjà une raison suffisante pour les créer. Je crois que les physiciens s’accorderont assez généralement pour céder aux mathématiciens l’enseignement des éléments de la Mécanique, mais à une condition évidente : c’est que ces éléments seront enseignés d’une manière expérimentale et non pas purement abstraite. Les étiquettes ont, d’ailleurs, peu d’importance et si, dans tel établissement, le laboratoire de Mathématiques n’est qu’un coin du laboratoire de Physique ; si c’est le professeur de Physique qui y dirige les exercices pratiques de Mécanique et même de Géométrie, de Cosmographie et d’Arpentage, nous n’y verrons aucun inconvénient. Les organisations les plus souples sont les meilleures et l’on ne saurait trop multiplier les occasions de mettre en évidence l’unité de la science. Évidemment, il est inévitable qu’il se produise parfois des difficultés personnelles, des heurts, des rivalités ; il peut s’en produire partout où se trouve plus d’un être humain ; nous ne prétendons pas réformer la nature humaine. Mais, avec la bonne volonté qui existe dans notre corps enseignant, bonne volonté à laquelle tous rendent hommage, avec la largeur d’esprit et la hauteur d’idées qui y règnent, on peut être convaincu que ces difficultés seront très rares, aussi peu nombreuses que celles qui pourraient surgir actuellement entre plusieurs professeurs de Physique usant d’un même laboratoire.

Une objection plus grave en apparence est la suivante : N’allez-vous pas, me dira-t-on, transformer nos lycées et collèges en autant d’Écoles primaires supérieures ou d’Écoles d’Arts et Métiers. L’enseignement secondaire doit-il faire double emploi avec l’enseignement primaire supérieur ?

Tout d’abord, je ne ferai aucune difficulté pour reconnaître que, sur plusieurs points, l’enseignement secondaire ne pourrait que gagner de ressembler davantage à l’enseignement primaire. On constate trop souvent aux examens du baccalauréat, et même aux examens d’entrée aux grandes Écoles, des ignorances scandaleuses, notamment sur le système métrique, qui ne seraient pas tolérées au moindre examen primaire.

L’enseignement primaire forme d’excellents esprits, et le jour où une législation plus démocratique leur ouvrirait toutes grandes les portes de l’enseignement supérieur, ils y feraient une concurrence redoutable aux élèves de l’enseignement secondaire. Mais je n’ai pas à traiter ici des rapports entre nos trois ordres d’enseignement, ni de la conception plus libérale qu’il faudrait se faire de leurs relations mutuelles. Je me place en face des faits actuels et je précise la question : Il existe en France un enseignement secondaire qui, malgré certaines imperfections, a incontestablement une grande valeur éducative ; ne risque-t-on pas de diminuer cette valeur éducative en y rendant plus pratique et moins théorique l’enseignement des Mathématiques ? Avant de répondre à cette question, je