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HENRI POINCARÉ — LA DYNAMIQUE DE L’ÉLECTRON

de la sorte, il y aurait une erreur systématique, car comme la lumière met un certain temps pour aller de B en A, la montre de A va retarder d’un temps sur celle de B. Cette erreur est aisée à corriger. Il suffit de croiser les signaux. Il faut que A envoie à son tour des signaux à B : et, après ce nouveau réglage, ce sera la montre de B qui retardera d’un temps sur celle de A. Il suffira alors de prendre la moyenne arithmétique entre les deux réglages.

Mais cette façon d’opérer suppose que la lumière met le même temps pour aller de A en B et pour revenir de B en A. Cela est vrai si les observateurs sont immobiles ; cela ne l’est plus s’ils sont entraînés dans une translation commune, parce qu’alors A, par exemple, ira au-devant de la lumière qui vient de B, tandis que B fuira devant la lumière qui vient de A. Si donc les observateurs sont entraînés dans une translation commune et s’ils ne s’en doutent pas, leur réglage sera défectueux ; leurs montres n’indiqueront pas le même temps ; chacune d’elles indiquera le temps local, convenant au point où elle se trouve.

Les deux observateurs n’auront aucun moyen de s’en apercevoir, si l’éther immobile ne peut leur transmettre que des signaux lumineux, marchant tous avec la même vitesse, et si les autres signaux qu’ils pourraient s’envoyer leur sont transmis par des milieux entraînés avec eux dans leur translation. Le phénomène que chacun d’eux observera sera soit en avance, soit en retard ; il ne se produira pas au même moment que si la translation n’existait pas ; mais, comme on l’observera avec une montre mal réglée, on ne s’en apercevra pas et les apparences ne seront pas altérées.

Il résulte de là que la compensation est facile à expliquer tant qu’on néglige le carré de l’aberration, et longtemps les expériences ont été trop peu précises pour qu’il y eût lieu d’en tenir compte. Mais un jour Michelson a imaginé un procédé beaucoup plus délicat : il a fait interférer des rayons qui avaient parcouru des trajets différents après s’être réfléchis sur des miroirs ; chacun des trajets approchant d’un mètre et les franges d’interférence permettant d’apprécier des différences d’une fraction de millième de millimètre, on ne pouvait plus négliger le carré de l’aberration, et cependant les résultats furent encore négatifs. La théorie demandait donc à être complétée, et elle l’a été par l’hypothèse de Lorentz et Fitz-Gerald.

Ces deux physiciens supposent que tous les corps entraînés dans une translation subissent une contraction dans le sens de cette translation, tandis que leurs dimensions perpendiculaires à cette translation demeurent invariables. Cette contraction est la même pour tous les corps ; elle est d’ailleurs très faible, d’environ un deux cent millionième pour une vitesse comme celle de la Terre. Nos instruments de mesure ne pourraient d’ailleurs la déceler, même s’ils étaient beaucoup plus précis ; les mètres avec lesquels nous mesurons subissent, en effet, la même contraction que les objets à mesurer. Si un corps s’applique exactement sur le mètre, quand on oriente le corps et, par conséquent, le mètre dans le sens du mouvement de la Terre, il ne cessera pas de s’appliquer exactement sur le mètre dans une autre orientation, et cela bien que le corps et le mètre aient changé de longueur en même temps que d’orientation, et précisément parce que le changement est le même pour l’un et pour l’autre. Mais il n’en est pas de même si nous mesurons une longueur non plus avec un mètre, mais par le temps que la lumière met à la parcourir, et c’est précisément ce qu’a fait Michelson.

Un corps sphérique, lorsqu’il est en repos, prendra ainsi la forme d’un ellipsoïde de révolution aplati lorsqu’il sera en mouvement ; mais l’observateur le croira toujours sphérique, parce qu’il a subi lui-même une déformation analogue, ainsi que tous les objets qui lui servent de points de repère. Au contraire, les surfaces d’ondes de la lumière, qui sont restées rigoureusement sphériques, lui paraîtront des ellipsoïdes allongés.

Que va-t-il se passer alors ? Supposons un observateur et une source entraînés ensemble dans la translation : les surfaces d’onde émanées de la source seront des sphères ayant pour centres les positions successives de la source ; la distance de ce centre à la position actuelle de la source sera proportionnelle au temps écoulé depuis l’émission, c’est-à-dire au rayon de la sphère. Toutes ces sphères seront donc homothétiques l’une de l’autre, par rapport à la position actuelle S de la source. Mais, pour notre observateur, à cause de la contraction, toutes ces sphères paraîtront des ellipsoïdes allongés ; et tous ces ellipsoïdes seront encore homothétiques par rapport au point S ; l’excentricité de tous ces ellipsoïdes est la même et dépend seulement de la vitesse de la Terre. Nous choisirons la loi de contraction, de façon que le point S soit au foyer de la section méridienne de l’ellipsoïde.

Comment allons-nous faire alors, pour évaluer le temps que met la lumière pour aller de B en A ? Je représente en A et en B (fig. 2) les positions apparentes de ces deux points. Je construis un ellipsoïde semblable aux ellipsoïdes des ondes que nous venons de définir et ayant son grand axe dans la direction du mouvement de la Terre. Je construis cet ellipsoïde de façon qu’il passe par B et ait son foyer en A.

D’après une propriété bien connue de l’ellipsoïde, on a une relation entre la distance apparente