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HENRI POINCARÉ — LA DYNAMIQUE DE L’ÉLECTRON

naturel de l’égalité de l’action et de la réaction. Le canon recule, parce que le projectile sur lequel il a agi réagit sur lui.

Mais ici, il n’en est plus de même. Ce que nous avons envoyé au loin, ce n’est plus un projectile matériel : c’est de l’énergie, et l’énergie n’a pas de masse ; il n’y a pas de contre-partie. Et, au lieu d’un excitateur, nous aurions pu considérer tout simplement une lampe avec un réflecteur concentrant ses rayons dans une seule direction.

Il est vrai que, si l’énergie émanée de l’excitateur ou de la lampe vient à atteindre un objet matériel, cet objet va subir une poussée mécanique comme s’il avait été atteint par un projectile véritable, et cette poussée sera égale au recul de l’excitateur et de la lampe, s’il ne s’est pas perdu d’énergie en route et si l’objet absorbe cette énergie en totalité. On serait donc tenté de dire qu’il y a encore compensation entre l’action et la réaction. Mais cette compensation, alors même qu’elle est complète, est toujours retardée. Elle ne se produit jamais si la lumière, après avoir quitté la source, erre dans les espaces interstellaires sans jamais rencontrer un corps matériel ; elle est incomplète, si le corps qu’elle frappe n’est pas parfaitement absorbant.

Ces actions mécaniques sont-elles trop petites pour être mesurées, ou bien sont-elles accessibles à l’expérience ? Ces actions ne sont autre chose que celles qui sont dues aux pressions Maxwell-Bartholi ; Maxwell avait prévu ces pressions par des calculs relatifs à l’Électrostatique et au Magnétisme ; Bartholi était arrivé au même résultat par des considérations de Thermodynamique.

C’est de cette façon que s’expliquent les queues des comètes. De petites particules se détachent du noyau de la comète ; elles sont frappées par la lumière du Soleil, qui les repousse comme ferait une pluie de projectiles venant du Soleil. La masse de ces particules est tellement petite que cette répulsion l’emporte sur l’attraction newtonienne ; elles vont donc former les queues en s’éloignant du Soleil.

La vérification expérimentale directe n’était pas aisée à obtenir. La première tentative a conduit à la construction du radiomètre. Mais cet appareil tourne à l’envers, dans le sens opposé au sens théorique, et l’explication de sa rotation, découverte depuis, est toute différente. On a réussi enfin, en poussant plus loin le vide d’une part, et d’autre part en ne noircissant pas l’une des faces des palettes et dirigeant un faisceau lumineux sur l’une des faces. Les effets radiométriques et les autres causes perturbatrices sont éliminés par une série de précautions minutieuses, et l’on obtient une déviation qui est fort petite, mais qui est, paraît-il, conforme à la théorie.

Les mêmes effets de la pression Maxwell-Bartholi sont prévus également par la théorie de Hertz, dont nous avons parlé plus haut, et par celle de Lorentz. Mais il y a une différence. Supposons que l’énergie, sous forme de lumière par exemple, aille d’une source lumineuse à un corps quelconque à travers un milieu transparent. La pression de Maxwell-Bartholi agira, non seulement sur la source au départ, et sur le corps éclairé à l’arrivée, mais sur la matière du milieu transparent qu’elle traverse. Au moment où l’onde lumineuse atteindra une région nouvelle de ce milieu, cette pression poussera en avant la matière qui s’y trouve répandue et la ramènera en arrière quand l’onde quittera cette région. De sorte que le recul de la source a pour contre-partie la marche en avant de la matière transparente qui est au contact de cette source ; un peu plus tard, le recul de cette même matière a pour contre-partie la marche en avant de la matière transparente qui se trouve un peu plus loin, et ainsi de suite.

Seulement la compensation est-elle parfaite ? L’action de la pression Maxwell-Bartholi sur la matière du milieu transparent est-elle égale à sa réaction sur la source, et cela quelle que soit cette matière ? Ou bien cette action est-elle d’autant plus petite que le milieu est moins réfringent et plus raréfié, pour devenir nulle dans le vide ? Si l’on admettait la théorie de Hertz, qui regarde la matière comme mécaniquement liée à l’éther, de façon que l’éther soit entraîné entièrement par la matière, il faudrait répondre oui à la première question et non à la seconde.

Il y aurait alors compensation parfaite, comme l’exige le principe de l’égalité de l’action et de la réaction, même dans les milieux les moins réfringents, même dans l’air, même dans le vide interplanétaire, où il suffirait de supposer un reste de matière, si subtile qu’elle soit. Si l’on admet, au contraire, la théorie de Lorentz, la compensation, toujours imparfaite, est insensible dans l’air et devient nulle dans le vide.

Mais nous avons vu plus haut que l’expérience de Fizeau ne permet pas de conserver la théorie de Hertz ; il faut donc adopter la théorie de Lorentz et, par conséquent renoncer au principe de réaction.

IX. — Conséquences du Principe de Relativité.

Nous avons vu plus haut les raisons qui portent à regarder le Principe de Relativité comme une loi générale de la Nature. Voyons à quelles conséquences nous conduirait ce principe, si nous le regardions comme définitivement démontré.

D’abord il nous oblige à généraliser l’hypothèse de Lorentz et Fitz-Gerald sur la contraction de