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HENRI POINCARÉ — LA DYNAMIQUE DE L’ÉLECTRON

vaient aucune résistance, et la précision des observations nous permet de fixer une limite à la résistance du milieu.

Cette résistance variant comme tandis que l’attraction varie comme , nous voyons que le rapport de la résistance au carré de l’attraction est en raison inverse du produit

Nous avons donc une limite inférieure du produit Nous avions déjà une limite supérieure de (par l’absorption de l’attraction par les corps qu’elle traverse) ; nous avons donc une limite inférieure de la vitesse qui doit être au moins égale à 24.1017 fois celle de la lumière.

Nous pouvons en déduire et la quantité de chaleur produite ; cette quantité suffirait pour élever la température de 1026 degrés par seconde ; la Terre recevrait dans un temps donné 1020 fois plus de chaleur que le Soleil n’en émet dans le même temps ; je ne veux pas parler de la chaleur que le Soleil envoie à la Terre, mais de celle qu’il rayonne dans toutes les directions.

Il est évident que la Terre ne résisterait pas longtemps à un pareil régime.

On ne serait pas conduit à des résultats moins fantastiques si, contrairement aux vues de Darwin, on douait les corpuscules de Lesage d’une élasticité imparfaite sans être nulle. À la vérité, la force vive de ces corpuscules ne serait pas entièrement convertie en chaleur, mais l’attraction produite serait moindre également, de sorte que ce serait seulement la portion de cette force vive convertie en chaleur qui contribuerait à produire l’attraction et que cela reviendrait au même ; un emploi judicieux du théorème du viriel permettrait de s’en rendre compte.

On peut transformer la théorie de Lesage ; supprimons les corpuscules et imaginons que l’éther soit parcouru dans tous les sens par des ondes lumineuses venues de tous les points de l’espace. Quand un objet matériel reçoit une onde lumineuse, cette onde exerce sur lui une action mécanique due à la pression Maxwell-Bartholi, tout comme s’il avait reçu le choc d’un projectile matériel. Les ondes en question pourront donc jouer le rôle des corpuscules de Lesage. C’est là ce qu’admet, par exemple, M. Tommasina.

Les difficultés ne sont pas écartées pour cela ; la vitesse de propagation ne peut être que celle de la lumière et l’on est ainsi conduit, pour la résistance du milieu, à un chiffre inadmissible. D’ailleurs, si la lumière se réfléchit intégralement, l’effet est nul, tout comme dans l’hypothèse des corpuscules parfaitement élastiques. Pour qu’il y ait attraction, il faut que la lumière soit partiellement absorbée ; mais alors il y a production de chaleur. Les calculs ne diffèrent pas essentiellement de ceux qu’on fait dans la théorie de Lesage ordinaire, et le résultat conserve le même caractère fantastique.

D’un autre côté, l’attraction n’est pas absorbée par les corps qu’elle traverse, ou elle l’est à peine ; il n’en est pas de même de la lumière que nous connaissons. La lumière qui produirait l’attraction newtonienne devrait être considérablement différente de la lumière ordinaire et être, par exemple, de très courte longueur d’onde. Sans compter que, si nos yeux étaient sensibles à cette lumière, le ciel entier devrait nous paraître beaucoup plus brillant que le Soleil, de telle sorte que le Soleil nous paraîtrait s’y détacher en noir, sans quoi le Soleil nous repousserait au lieu de nous attirer. Pour toutes ces raisons, la lumière qui permettrait d’expliquer l’attraction devrait se rapprocher beaucoup plus des rayons X de Röntgen que de la lumière ordinaire.

Et encore les rayons X ne suffiraient pas ; quelque pénétrants qu’ils nous paraissent, ils ne sauraient passer à travers la Terre tout entière ; il faudra donc imaginer des rayons X′ beaucoup plus pénétrants que les rayons X ordinaires. Ensuite une portion de l’énergie de ces rayons X′ devrait être détruite, sans quoi il n’y aurait pas d’attraction. Si on ne veut pas qu’elle soit transformée en chaleur, ce qui conduirait à une production de chaleur énorme, il faut admettre qu’elle est rayonnée dans tous les sens sous forme de rayons secondaires, que l’on pourra appeler X″ et qui devront être beaucoup plus pénétrants encore que les rayons X′, sans quoi ils troubleraient à leur tour les phénomènes d’attraction.

Telles sont les hypothèses compliquées auxquelles on est conduit quand on veut rendre viable la théorie de Lesage.

Mais, tout ce que nous venons de dire suppose les lois ordinaires de la Mécanique. Les choses iront-elles mieux si nous admettons la nouvelle Dynamique ? Et d’abord, pouvons-nous conserver le Principe de Relativité ? Donnons d’abord à la théorie de Lesage sa forme primitive et supposons l’espace sillonné par des corpuscules matériels ; si ces corpuscules étaient parfaitement élastiques, les lois de leur choc seraient conformes à ce Principe de Relativité, mais nous savons qu’alors leur effet serait nul. Il faut donc supposer que ces corpuscules ne sont pas élastiques, et alors il est difficile d’imaginer une loi de choc compatible avec le Principe de Relativité. D’ailleurs, on trouverait encore une production de chaleur considérable, et cependant une résistance du milieu très sensible.

Si nous supprimons les corpuscules et si nous revenons à l’hypothèse de la pression Maxwell-Bartholi, les difficultés ne seront pas moindres. C’est ce qu’a tenté Lorentz lui-même dans son