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Page:Revue générale des sciences pures et appliquées T. 27-1916.djvu/473

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DU PROBLÈME DE L’ATLANTIDE

concordants démontrent que le plateau ibérique s’est prolongé vers l’W avant l’époque actuelle, avec une extension qui fut sans doute considérable, sans que nous puissions nous aventurer à lui donner une valeur même approximative.

Le prolongement atlantique des terres marocaines n’est pas aussi évident ; mais Gentil, qui connaît si bien la structure et la nature du Magreb, en est partisan. Selon ce savant géologue, les Canaries sont dans le prolongement de la Meseta marocaine, englobée comme son homologue, la Meseta ibérique, dans les plissements alpins, et les plis du Haut Atlas y viennent mourir en s’atténuant. Le canal qui sépare les Canaries de la côte méridionale du Maroc serait, d’après lui, comparable au détroit de Gibraltar, et, de même que d’un côté et d’autre de celui-ci il y a une continuité parfaite entre les systèmes rifain et pénibétique, les îles de l’archipel espagnol représenteraient l’émersion, de l’autre côté du canal, des plis de l’Atlas qui s’abaissent sous l’Atlantique entre Agadir et le cap Guir.

Pour beaucoup de raisons, il nous paraît difficile de comparer avec le détroit de Gibraltar ce canal qui, au large de Fuerteventura et non loin de ses côtes, offre déjà une profondeur qui oscille entre 1 000 et 1 500 mètres. Mais cela n’empêche pas que nous partagions l’opinion que le piédestal sédimentaire sur lequel s’appuient sans doute les Canaries ait été, en d’autre temps, soudé au continent africain.

Une opinion semblable est professée par Termier, pour lequel ou bien la Meseta marocaine se prolongeait longitudinalement en séparant à travers l’Atlantique deux chaînes alpines, l’Atlas et le Rif, ou bien le vrai système alpin s’arrêtait entre Trafalgar et Tanger, brisé « par l’obstacle infranchissable d’un immense morceau des Altaïdes, aujourd’hui coupé en deux par l’effondrement de l’Atlantide, réunissant autrefois la Meseta marocaine et la Meseta espagnole[1] ».

Le problème paraît donc être de fixer l’époque où les Canaries actuelles, ou leur plate-forme sédimentaire, furent séparées du sol africain. À ce point de vue, les opinions sont loin d’être d’accord, comme nous allons le voir.

Jusqu’à présent, les estimations des divers auteurs, bien qu’elles concordent sur le point que le phénomène est très récent géologiquement parlant, n’arrivent pas à fixer le moment d’une manière assez précise pour nous permettre d’affirmer que le souvenir en a pu ou non parvenir aux hommes à l’aurore de l’histoire.

L’existence aux Canaries d’espèces disparues est une arme à deux tranchants, comme le démontre clairement l’étude faite par Dollfus des fossiles recueillis au Rio de Oro par le P. Font. Des 28 espèces rapportées par le géologue espagnol, 23 sont encore vivantes, 19 sont communes avec le Pliocène, 16 étaient déjà connues au Miocène et 7 sont caractéristiques du Quaternaire. Appliquant à notre problème les enseignements qui découlent de son étude, l’auteur n’ose rien affirmer sur la séparation des Canaries, sinon qu’elle est certainement d’âge post-miocène et peut-être plus récente[2].

En se basant sur un autre ordre de considérations, Gentil arrive à des conclusions également imprécises. L’existence, tout le long de la côte entre Mogador et Agadir, de grès tortoniens à Ostræa crassissima, antérieurs aux plissements de la région, démontre que l’effondrement de la chaîne est certainement post-miocène. En outre, une bande presque continue de Plaisancien, bien déterminé par sa faune de Pectinidés, borde la côte de Tanger au Sous. Ce Plaisancien s’élève sur le flanc septentrional du Cap Guir et recouvre ensuite jusqu’à Agadir les plateaux côtiers à une altitude de 200 à 250 m. « Ce terrain, dit Gentil, a pris part aux derniers mouvements de la chaîne et les plissements du Plaisancien sont encore visibles dans les brachyanticlinaux qui, dans la région littorale, surgissent, comme au Djebel Hadid, du Crétacé tabulaire[3]. » De ce fait, il déduit avec une grande probabilité que la séparation de l’Afrique et des Canaries serait de la fin du Pliocène ou peut-être du Quaternaire. Dans un travail postérieur, après avoir reconnu que l’âge de l’Atlas dans ces régions ne peut être précisé au moins d’une façon absolue, il se montre plus enclin à dater du Quaternaire l’effondrement des plis de la chaîne, phénomène auquel est dû le canal qui sépare aujourd’hui l’archipel des côtes africaines[4].

Le géologue et voyageur français Chudeau a fait l’observation curieuse que les rivières qui naissent dans l’Adrar Sotof, à environ 80 kilomètres de la côte entre le Rio de Oro et le Cap Blanc, au lieu de se diriger vers la mer comme il paraît naturel puisque aucun obstacle ne s’interpose sur leur trajet, courent vers le Sud parallèlement à la mer, et vont se perdre dans des sebkas littorales au lieu de former des vallées encaissées

  1. P. Termier : Les problèmes de la Géologie tectonique dans la Méditerranée occidentale. Rev. gén des Sc. du 30 mars 1911, t. XXII, p. 225.
  2. G. F. Dollfus : Étude des fossiles recueillis par N. Font y Sagué au Rio de Oro. Bull. Soc géolog. de France, 4e sér., t. XI (1911).
  3. L. Gentil : Les mouvements tertiaires dans le Haut Atlas marocain. C. r. de l’Acad. des Sc. du 30 mai 1910, p. 1485.
  4. L. Gentil : Le Maroc physique. Paris, Alcan, 1912.