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Page:Revue générale des sciences pures et appliquées T. 27-1916.djvu/475

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DU PROBLÈME DE L’ATLANTIDE

les autres, la ligne des bas-fonds de l’Atlantique oriental interpose ses abîmes de plus de 5 000 mètres.

Mais c’est sur le terrain de la Géologie, comme nous l’avons vu, que l’on peut arriver aux conclusions les plus précises. L’existence d’une Atlantide géologique est un fait pleinement confirmé, ainsi que sa persistance dans l’Atlantique nord jusqu’à la fin de l’ère tertiaire. Étant donnée l’extension des terres qui ont uni les deux continents, elles n’ont pu disparaître soudainement, mais seulement par un processus plus ou moins lent. La séparation à la lisière américaine fut antérieure à la séparation du côté européen ; de toute façon, entre les deux côtes persista pendant quelque temps une terre isolée, plus ou moins étendue, l’Atlantide géologique, dont les restes peuvent être représentés par la bande axiale de hauts-fonds sur lesquels s’élèvent les Açores.

Or, ces événements, antérieurs à l’ère quaternaire, ne peuvent servir de base à la légende platonienne. L’humanité consciente, capable de conserver une tradition, leur est postérieure. Il n’existe aucune preuve indubitable de l’existence de l’humanité avant le Quaternaire. Les instruments d’origine indiscutablement humaine sont tous postérieurs, de même que les restes fossiles de l’homme. La mandibule de Mauer, près d’Heidelberg, reste humain le plus ancien de date authentique, est de la période rissienne, c’est-à-dire de la troisième glaciation.

Il est certain que les conditions physiques de la Terre pendant l’ère tertiaire, surtout au Pliocène, ne s’opposent en aucune façon à l’existence de l’homme. Mais, étant donnée l’absence de produits de l’industrie humaine, on doit penser que l’homme de cette époque, tout en étant un être ressemblant organiquement à l’homme actuel, aurait été incapable de transmettre par tradition le souvenir d’une catastrophe. On ne pourrait l’appeler homme, ni son espèce humanité, dans le sens psychologique de ces termes.

Les premiers vestiges d’industrie paléolithique non douteuse appartiennent, selon A. Penck, à la seconde période interglaciaire (entre le Mindélien et le Rissien de cet auteur), et par conséquent à une époque déjà avancée du Quaternaire. Et ce n’est que dans la troisième période interglaciaire et depuis la dernière glaciation (würmienne) que se rencontrent les instruments du Paléolithique supérieur et les restes d’un art qui donnent l’idée d’une mentalité relativement élevée. Quoique H. Obermaier[1] ait modifié postérieurement la table chronologique de Penck, il s’accorde avec lui pour attribuer à la seconde période interglaciaire, soit au Quaternaire moyen, les premiers vestiges indubitables de l’industrie humaine.

Il faut donc prendre comme base de la tradition de l’Atlantide un événement de moindre importance, la séparation d’un archipel, qui puisse revêtir un caractère catastrophique et avoir eu lieu à une date postérieure. Le souvenir d’un aussi grand événement, joint à celui d’une île atteinte une fois par hasard et non revue, comme Madère ou les Açores mêmes, expliquerait rationnellement l’origine de la légende. Plus ou moins transformée, poétisée avec des incidents pittoresques, elle aurait pu parvenir à l’aurore de l’histoire.

Le problème se concrétise ainsi peu à peu. Puisque l’archipel canarien est celui qui conserve le plus de relations, tant biologiques que géologiques, avec le continent, c’est sans doute celui qui s’est détaché le plus récemment. La question est donc de fixer la date de sa séparation et de voir si elle est assez récente pour que le souvenir ait pu s’en perpétuer par tradition. Le problème ainsi posé, sa solution peut être taxée de difficile, mais non d’impossible. Voyons jusqu’où la Géologie est parvenue dans cette voie et le chemin qui reste à parcourir.

Les documents paléontologiques relatifs à une époque aussi récente n’ont qu’une valeur très relative ; même confirmée, l’existence de gisements à Helix Gruveli en Afrique et à Fuerteventura ne serait qu’un indice et nullement une preuve concluante que la séparation a été postérieure au Quaternaire ancien. D’autre part, comme on ne connaît pas de dépôts sédimentaires aux Canaries orientales, il est très difficile d’apprécier des continuités tectoniques, voie dans laquelle il faut s’engager pour élucider le problème.

Il convient d’insister sur cette rareté de matériaux sédimentaires reconnus dans l’archipel, parce qu’on s’en sert fréquemment d’arguments à des fins diverses. Les calcaires qui sont envoyés de Fuerteventura aux autres îles pour la fabrication de la chaux sont des travertins qui recouvrent, comme une croûte plus ou moins épaisse, les matériaux les plus divers. Je les ai observés avec soin toutes les fois que j’en ai eu l’occasion et je n’ai jamais pu y trouver le moindre fossile.

Les formations côtières fossilifères de la Grande Canarie, bien connues pour se rencontrer aux environs de la capitale de l’île, ne peuvent servir de rien pour notre objet. La présence du

  1. H. Obermaier. El hombre fósil. Comisión de Investigaciones paleontológicas y prehistóricas, mem. no 9. Madrid, 1916.