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toire de près de deux siècles ; au xie siècle, la suprématie pontificale, déjà affirmée au ixe, se constitue et s’établit aux dépens de la puissance impériale. Grégoire VII pose les bases du système qu’il entend appliquer au gouvernement de la chrétienté : l’État soumis à l’Église et l’Église soumise au pape ; son œuvre est parfaite autant qu’œuvre humaine peut l’être, mais, si puissant qu’il soit, ce grand esprit n’a pu prévoir les difficultés qui naîtront plus tard : résistance de la part des peuples chrétiens, dont la nationalité devient chaque jour plus marquée, et de la part des souverains dont le pouvoir se développe ; résistance dans l’Église même, les évêques refusant de se laisser dépouiller de leur autorité séculaire ; enfin abus dans la cour romaine, abus d’autant plus dangereux que l’autorité des papes et de leurs conseillers est de jour en jour plus grande. Le régime que Grégoire VII n’a eu que le temps d’esquisser, ses successeurs, avec cette ténacité, cette continuité de vue qui ont été la grande force de la curie, travaillent à le constituer définitivement, et sous Innocent III ils semblent bien près de réussir. L’Empire est affaibli par des dissensions intérieures ; la France, déjà puissante, n’a pas encore achevé son unification ; enfin l’Angleterre est aux mains d’un tyran imbécile. Et pourtant combien cette œuvre paraît déjà chancelante ! l’autorité dogmatique de l’Église est niée par des milliers de fidèles dans le sud de l’Europe, et pour les écraser la papauté a dû se résigner à une guerre d’extermination, de massacres, qui va lui coûter sa vieille réputation de bénignité et de douceur. Si les prélats ont dû pour la plupart renoncer à la lutte, se soumettre aux ordres du saint-siège et des légats, la société laïque, qui commence à prendre conscience d’elle-même, cherche à se dégager du joug que l’Église fait peser sur elle. Les sciences et les lettres, grâce à la fondation des universités, vont se répandre hors des cloîtres et pénétrer peu à peu le clergé séculier, puis les laïques eux-mêmes. Contre les tribunaux ecclésiastiques s’élèvent les cours royales qui vont lutter énergiquement contre leurs vieilles rivales et finiront par en triompher. Au moment même où, sans rencontrer aucune résistance ouverte, Innocent III dispose en maître des États de Jean-sans-Terre et du comté de Toulouse, la puissance pontificale, qui paraît avoir atteint l’apogée, est déjà bien menacée ; dans un prochain volume, M.  Rocquain nous montrera comment, quatre-vingts ans plus tard, elle va recevoir à Agnani un coup mortel.

Les abus innombrables de la cour pontificale ont peut-être plus fait pour le renversement de la théocratie organisée par Grégoire VII et ses successeurs que les excès autrement graves autorisés par l’Église romaine au xiiie siècle ; nous voulons parler des poursuites