Page:Revue historique - 1893 - tome 53.djvu/314

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cependant si facile d’opposer au Du Fresne catholique et ambassadeur d’aujourd’hui l’écrivain huguenot d’autrefois. Du Fresne lui répond de Venise par une lettre apologétique ; cette lettre a été criblée par Casaubon de notes furibondes (ridiculum, falsissimum, quo ruis ? etc.). Mais ni ces notes ni la lettre ne contiennent le moindre mot qui se rapporte aux Discours.

Ce n’est pas seulement à Casaubon qu’il croit nécessaire d’écrire pour expliquer et justifier sa conversion. Le 20 février 1602, l’ancien président de Castres avertit le ministre de Fages que les réformés peuvent toujours compter sur son appui :

Ce que j’ay fait pour la satisfaction de mon âme, lui dit-il, ne tend point à désirer le mal d’autruy ; au contraire, comme j’ay esté inflexible à toute violence et contraincte, ainsi je favoriseray tousjours ceux qui se résoudront plustost à toute autre chose qu’à se laisser violenter en leurs consciences. Dieu seul amolit et endurcit le cœur de l’homme, Dieu seul illumine les aveugles et ceux qui sont en ténèbres ; provoquons sa grâce par charité, par prières ardentes, par bonne vie, et nous verrons que ce grand schisme incurable au fer et au feu se guerira de soy-mesme[1].

On reconnaîtra ici des idées chères à La Noue : comment Du Fresne ne rappelle-t-il pas qu’il les a déjà exprimées sous le nom d’un autre ? Même silence dans ses lettres du même jour au président de Vignoles et à l’avocat général Boucaud.

Il y a plus : le même jour encore, — il tenait décidément à liquider cette affaire de la conversion, — il écrit sur le même sujet à un Jésuite, le P. Gonteri. Il lui fait l’éloge du P. Possevin : « Si sa grande érudition et les grandes charges dont le Saint-Siège l’a honoré le rendent illustre, la douceur de sa conversation et la sincère affection qu’il a tesmoigné à la France au plus fort de ses misères, et la particulière bienveillance dont il luy plaist m’honorer ne me le rendent pas moins recommandable[2]. » Ce savant Jésuite connaissait fort bien le livre de La Noue[3] : il en avait publié une réfutation en 1594, et, chose assez piquante, il y affirmait que Du Fresne n’avait eu à vaincre chez La Noue que les feintes résistances d’une modestie simulée. Du Fresne serait l’auteur, ou tout au moins l’accommodateur des Discours, et, à huit ans de distance, il ne rappellerait pas que Possevin fut son adversaire ? Silence assez inexplicable dans une lettre où il vante la « grande érudition » du père jésuite, où il cite

  1. Lettres et ambassades de F.-C., t. I, p. 149.
  2. Lettres et amb., p. 151.
  3. François de la Noue, p. 204.