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la meslée, y seroit très empesché ; car ils ont des argumens plus concluans que ceux de la première figure. Quand doncques ils tiennent quelqu’un qui repugne à leurs opinions…, ils vous luy baillent incontinent un syllogisme à soudre, qui est de feu, d’eau ou de corde,… » — « On m’a encore fort pressé, » écrit-il en 1585, « de conférer avecques des docteurs catholiques[1], ce que j’ay refuzé… Estant au lieu où ils sont, ils ont des arguments qui concluent nécessairement qu’Aristote mesme ne pourrait souldre, car ils font assommer ou noyer ceux qui leur resistent en face. »

Si l’on retrouve dans ces lettres « le cachet très sensible » d’une personnalité quelconque, c’est assurément celle de l’auteur des Discours. J’avoue même que, pour des lettres du xvie siècle, elles me paraissent remarquablement bien composées. Qu’on lise ses lettres du 1er  octobre 1585, celle du 25 octobre surtout, on sera frappé de ce que j’avance[2]. Voyez encore la grande lettre qu’il écrit à Walsingham, de Heidelberg, le 17 août 1588[3]. Elle traite de quatre points : 1o le mariage de sa fille ; — 2o la ruine de l’Armada ; — 3o ses obligations envers les Lorrains ; — 4o la situation de Sedan. Ces diverses parties se suivent sans se confondre, et dans chacune les idées sont rigoureusement rangées à leur place. Pour peu que l’on soit habitué à la composition lâche, traînante et indécise, aux perpétuels retours en arrière qui déparent tant de lettres de ce temps, on reconnaîtra dans celle-ci la marque d’un penseur et d’un écrivain.

Quant au style des lettres, il ne me paraît nullement, — si l’on n’oublie pas qu’elles sont des lettres, — inférieur à celui des Discours. On y retrouve les mêmes qualités de vigueur éloquente : « Nostre France, » écrit-il à Walsingham, « se réveillera-t-elle point au bruit de vostre victoire, pour penser à son relèvement[4] ? » Et, dans cette même lettre, écoutez de quelle façon charmante il parle du mariage de sa fille avec Horatio Pallavicino[5] :

Vous estes vertueux, vous estes mon amy, et, estant revestu de ces qualités, vous ne sçauriez que bien faire. Dites la parolle, je tacheray de l’accomplir et d’y renger la vollonté des autres. Mais je crains qu’il y ayt entre les parties de la dissimilitude, car ma fille est laide et le sr Palavicino est beau gentilhomme. Elle est pauvre, il est riche. Elle n’a esté nourrye es cours, et il est gentil courtizan. Toutefoys j’estime qu’elle a de la piété et de la tempérance. Et qui sçait, s’il l’avoyt veue,

  1. Fr. de la Noue, p. 304.
  2. Ibid., p. 303, 304, 306.
  3. Ibid., p. 315-319.
  4. Ibid., p. 317.
  5. Ibid., p. 316. Voy. aussi p. 230.