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au marché, il semble n’avoir pas réussi non plus à démontrer que, de par la vertu magique de la croix (Weichbild), ville et marché sont tous deux des demeures royales. Ici il a appelé l’étymologie à son secours. Il donne à la racine wich, weich, que l’on trouve dans Weichbild, la signification de Burg, c’est-à-dire d’habitation fortifiée, de château fort et spécialement, dans le cas qui nous occupe, de château royal. Le Weichbild est donc l’emblème (bild) du château, du palais du roi, et la ville où il est planté devient une Konigsburg. Malheureusement, cette ingénieuse digression philologique a le tort d’être complètement erronée. Il suffit d’ouvrir le dictionnaire de M. Kluge, pour apprendre que Weichbild est composé des deux mots wik = vicus et bild apparenté à l’ancien germanique bilida, synonyme de Recht[1]. Il faut donc traduire tout simplement ce fameux Weichbild, dans lequel on a voulu voir tant de symbolisme, par : paix ou juridiction locale, Ortsgericht, Stadtfriede.

Voilà, ce semble, les axiomes formulés si rigoureusement par M. Sohm au début de son livre singulièrement compromis et, partant, la théorie qui en est si logiquement déduite, en grand danger. Mais il est encore d’autres objections, et des plus graves, que l’on peut faire valoir contre elle. Elle a trop rapidement généralisé et n’a pas suffisamment tenu compte des faits. La croix, il faut toujours y revenir, n’est érigée que pendant les foires (nundinae) : elle ne figure pas aux marchés hebdomadaires (mercatus)[2]. Or, dans beaucoup de grandes villes, on ne constate l’existence de foires qu’à une époque fort récente[3], et, d’autre part, des foires ont été tenues très anciennement dans des villages qui, cependant, n’ont pas cessé pour cela d’être de simples villages[4]. Que conclure de là sinon que, dans le sens du moins où

  1. Kluge, Etymologisches Wörterbuch der deutschen Sprache. — Von Amira (dans Paul, Grundriss der Germanischen Philologie, t. II, 2e partie, p. 41) admet la même étymologie. Il cite comme apparenté au germ. bilida le mot scandinave biltugher = rechtlos. Voy. aussi contre l’interprétation de M. Sohm von Below, Ursprung, p. 17, note 2, Schulte, Göttingische gelerhte Anzeigen, 1891, no 14, p. 530, et Varges, Deutsche Zeitschrift für Geschichtswissenschaft, 1892, p. 86. M. Varges a démontré en outre que Burg n’a pas anciennement le sens de château, mais celui de ville. On trouve de nombreux exemples de burgus employé pour désigner spécialement l’agglomération urbaine au xe et au xie siècle, dans Flach, les Origines de l’ancienne France, II, 243 et suiv.
  2. Il en est du moins ainsi à l’origine. La foire est souvent appelée forum crucis, par opposition au simple marché.
  3. Par exemple à Gand, à Bruges, à Mons et en général dans la plupart des grandes villes laïques des Pays-Bas.
  4. À Thourout et à Messine en Flandre, qui n’ont obtenu le rang de ville qu’à la fin du moyen âge, par exemple.