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plit ses plus grands progrès. Mais tous ces progrès se trouvent en germe, en puissance, si l’on veut, dans le jus mercatorum, dans ce droit personnel des marchands qui s’est élaboré pendant le haut moyen âge, et dont nous avons essayé de caractériser, bien imparfaitement, l’esprit et les tendances.

L’acquisition de ce droit par les marchands doit avoir eu, on le comprend facilement, une influence prépondérante sur le développement ultérieur de la bourgeoisie. Nous entrevoyons, dans la demi-obscurité des origines, une période de transition dont le détail nous échappe, mais dont les tendances générales s’accusent assez nettement. Le xie et le xiie siècle forment une époque de luttes, de conflits, d’incertitude et de désordre. Le vieux droit cherche à se maintenir en présence du droit nouveau, mais partout il perd du terrain.

Non contents de jouir d’un droit qui leur est propre, les marchands cherchent à créer des organes chargés de l’appliquer. Ils tentent de s’emparer des anciennes juridictions et de les modifier à leur avantage. La transformation de la coutume et de la procédure doit d’ailleurs amener une transformation radicale dans la constitution judiciaire et administrative de la ville. Évidemment, les ministeriales et les échevinages seigneuriaux ont fait leur temps. La bourgeoisie veut se mêler directement à la gestion de ses affaires. À Arras, on voit les cives prétendre partager la juridiction du tonlieu avec les fonctionnaires de Saint-Vaast[1]. À Dinant, on constate que les monetarii, qui, au début, constituent l’échevinage, sont peu à peu expulsés par les bourgeois[2]. L’Allemagne rhénane[3] et la France[4] nous présentent de leur côté des phénomènes analogues.

Du reste, ce ne sont pas seulement les marchands qui s’agitent. Les divers groupes sociaux et juridiques qui coexistent avec eux dans les villes veulent participer aussi aux privilèges du droit nouveau. Tous, en effet, perdent de plus en plus leur caractère primitif, agricole ou domanial[5]. L’exercice du commerce et de l’industrie, en se généralisant, les rapproche toujours davantage des marchands, et

  1. Voyez plus haut, p. 93, n. 7.
  2. Pirenne, Dinant, p. 19.
  3. Hœniger, Ursprung der Kölner Stadtverfassung. Westdeutsche Zeitschrift, 1883.
  4. Giry, Étude sur les origines de la commune de Saint-Quentin, p. 36.
  5. Il est évident toutefois que les villes du moyen âge n’ont jamais été exclusivement commerçantes et industrielles. Un grand nombre de bourgeois, comme encore de nos jours dans les petites villes de province, s’y adonnaient, concurremment avec leur métier, à la culture du sol. Bücher, Die Entstchung der Volkswirthschaft, p. 47.