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Page:Revue historique - 1895 - tome 57.djvu/306

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main, nous l’avons vu déjà, les marchands ont construit une palissade autour de leur suburbium. Mais à cette protection matérielle doit s’ajouter la protection du droit.

Ce droit, cette paix qui s’établit dans la ville, est une sorte de droit permanent d’état de siège. Il est plus sévère, plus dur que celui du plat pays[1]. Il prodigue les châtiments corporels : pendaison, décapitation, castration, amputation de membres. Il applique dans toute sa rigueur la loi du talion : œil pour œil, dent pour dent. Secundum quantitatem facti punietur, dit la charte de Saint-Omer, scilicet oculum pro oculo, dentem pro dente, caput pro capite reddat[2]. Si reus inventus fuerit, lit-on dans celle de Laon, capud pro capite, membrum pro membro reddat[3]. Pro capite capud, pro manu manus, stipule de son côté celle de Schwerin[4], avec une énergique concision. Il est d’ailleurs inutile d’accumuler les textes analogues. Dès le xiie siècle ils abondent, et il suffit, pour en trouver, de feuilleter un recueil de privilèges municipaux.

La paix urbaine est essentiellement locale. Du jour où elle est établie, chaque habitant, l’étranger comme le bourgeois, le serf comme le libre, le noble comme le non noble, sont tenus de l’observer. On pourrait presque dire qu’elle appartient au sol. La paix de Staveren est appelée pax civitatis et non pax civium[5].

Ainsi, du jour où la paix est établie dans la ville, elle crée, entre les divers groupes d’hommes qui habitent celle-ci, quelque hétérogènes qu’ils puissent être, un lien solide et durable. Par nature, elle est un puissant instrument d’unification et de nivellement. L’histoire constitutionnelle des États nous fournit, à cet égard, un excellent point de comparaison. On peut remarquer, en effet, qu’au sortir de l’anarchie féodale, quand apparaît une activité législative nouvelle, les premières lois sont des lois de paix. Il en est ainsi de la plus ancienne ordonnance connue des rois de France[6] et l’on sait, d’autre part, quelle a été en Allemagne l’influence des Landfriedensordnungen[7]. Il n’en va pas différemment des principautés territoriales. C’est en leur qualité de protecteurs de la paix régionale que les seigneurs terriens ont lutté de très bonne heure contre les juridictions

  1. Excellente caractéristique du droit pénal urbain dans Sohm, Die Entstehung des Städtewesens, p. 41 et suiv.
  2. Giry, Saint-Omer, p. 374.
  3. Giry, Documents, p. 16.
  4. Gengler, Stadtrechte, p. 431.
  5. Waitz, Urkunden, p. 44. Cf. Charte de Laon, § 8 : termini pacis. Gengler, op. cit., p. 373, etc. Cf. Varges, op. cit., p. 184.
  6. Viollet, Histoire du droit français, p. 128.
  7. Schrœder, Lehrbuch der deutschen Rechtsgeschichte, p. 538.