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tables, parce qu’ils correspondaient tous deux à des transformations sociales et économiques plus puissantes que les traditions gouvernementales. Bon gré mal gré, les détenteurs de la souveraineté ratifient le fait accompli. Ici sous la pression de l’émeute[1], là à prix d’argent[2], ailleurs encore parce qu’ils se rendent compte enfin de la situation nouvelle, ils se laissent extorquer, ou ils vendent, ou ils octroyent le précieux parchemin contenant les droits et les privilèges des bourgeois, donnant ainsi la consécration de la loi à un état de choses jusque-là contesté et précaire. Et bientôt les chartes municipales ne sont plus seulement le prix de la victoire des communes. Les seigneurs comprennent qu’il est de leur intérêt de favoriser la vie urbaine[3]. Plusieurs d’entre eux fondent des villes neuves, véritables colonies qu’ils dotent, dès le premier jour, de ce droit urbain qui s’est lentement et péniblement élaboré dans les villes anciennes. Et ce droit, n’étant entravé ici ni par la tradition historique, ni par les intérêts séculaires, ni par les survivances d’un état de choses antérieur, nous apparaît, dès sa naissance, clair, complet et logique. De même que dans le royaume de Jérusalem le droit féodal se présente à nous sous une forme bien plus parfaite que dans les États de l’Occident, parce qu’il a été introduit d’un seul coup et tout d’une pièce, de même, les chartes des villes neuves du xiie siècle sont les documents les plus purs et les plus parfaits du droit municipal de l’Europe[4].

V. — La ville, formant dans l’enceinte de ses murs un territoire juridique indépendant, doit, de toute nécessité, posséder sa juridiction propre. Le droit urbain s’opposant au droit régional, il faut inévitablement qu’un tribunal spécial soit chargé de l’appliquer et, en l’appliquant, de le développer. C’est une clause qui ne manque à presque aucune charte municipale, que les bourgeois ne pourront être jugés que dans la ville. Il en est, à ce point de vue, de la commune comme de l’immunité. Toutes deux, en vertu de la situation privilégiée qui leur est faite, celle-ci par l’exemption de l’introitus

  1. À Laon, Noyon, Le Mans, Beauvais, Cologne, Worms, Spire, Trêves, etc.
  2. À Amiens, Doullens, Roye, etc. Bréquigny, préface du t. XI des Ordonnances, p. xix. Cf. Charte d’Abbeville, Monum. de l’hist. du tiers état, IV, p. 9. La plus ancienne charte urbaine de l’empire, celle de Huy (1066), a été accordée par l’évêque de Liège moyennant l’abandon fait par les bourgeois du tiers de leurs biens meubles. Waitz, Urkunden, p. 9.
  3. Voyez un texte fort instructif dans Tuetey, Étude sur le droit municipal en Franche-Comté, p. 22 et suiv.
  4. La charte de Fribourg-en-Brisgau est particulièrement intéressante à cet égard.