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La seconde justification de Cavaignac est beaucoup plus récente ; elle date de 1820. En ce moment s’imprimaient les premiers volumes de la Biographie des contemporains d’Arnault, Jay, Jouy et Norvins, et il était à craindre que les auteurs de ce dictionnaire n’enregistrassent à nouveau la vieille accusation de Prudhomme. C’était aussi le temps où Victor Hugo venait de faire couronner aux jeux floraux sa fameuse ode les Vierges de Verdun, accueillie par le public avec tant d’attendrissement.

Eh quoi ! quand ces beautés, lâchement accusées,
Vers ces juges de mort s’avançaient dans les fers,
Ces murs n’ont pas, croulant sous leurs voûtes brisées,
Rendu les monstres aux enfers !

Or, Cavaignac était un des monstres qui passaient pour avoir concouru à la mise en accusation des demoiselles Henry et Watrin.

L’ancien conventionnel, alors exilé comme régicide en exécution de la loi du 12 janvier 1816, faisait d’activés démarches pour obtenir de rentrer en France. Grandement intéressé à se disculper de cette double imputation, il adressa de Bruxelles à Jay une lettre dont nous trouvons le résumé dans un catalogue d’autographes[1] : « Ce n’est pas lui, mais Mallarmé, qui a fait arrêter et traduire au tribunal révolutionnaire les auteurs de la livraison de Verdun. Une calomnie non moins atroce est de lui attribuer le fait de Labarrère, de Dax, qui appartient à son collègue, Pinet. Il pense qu’un proscrit ne réclamera pas en vain l’intérêt et la justice des auteurs de la Biographie des contemporains. » De son côté, la femme de Cavaignac, rappelant que son mari se trouvait à quinze lieues de l’endroit où le crime se serait commis, écrivit que l’accusation relative à Mlle de Labarrère n’avait aucun fondement. Les auteurs de la Biographie acceptèrent ces allégations et s’attachèrent à innocenter Cavaignac.

Pour en finir tout de suite avec la condamnation des Verdunoises, qui ne nous intéresse ici que secondairement, il est incontestable que Cavaignac n’en a pas la responsabilité ; mais, pour se justifier, il n’avait ni le besoin ni le droit d’en charger Mallarmé, qui n’en est pas moins innocent que lui. Les vrais coupables sont Gohier, ministre de la justice, et Fouquier-Tinville. On trouvera sur cette question, longtemps controversée, tous les éclaircissements désirables dans l’Histoire du tribunal révolutionnaire de M. Wallon[2].

  1. Catalogue des curiosités autographiques… composant le cabinet de feu M. P. de Saint-Romain, dont la vente aura lieu les 15 et 16 mai 1873 (Paris, Gabriel Charavay, 1873, in-8o), no  52, p. 8.
  2. T. III, p. 318-338. — D’après la relation de Barbe Henry, citée par Cuvil-