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sonnes employées au service des églises : portiers, fossoyeurs, sonneurs de cloches, etc.

On voit donc que la résidence épiscopale présente une vie fort active et fort intéressante. Elle est vraiment, en raccourci, le tableau de la civilisation de ce temps. C’est là que l’on aperçoit clairement, dans leurs rapports harmoniques, les trois classes de la population : le clergé priant et étudiant, la noblesse protégeant le clergé de son épée, et le peuple, de son travail, faisant vivre l’une et l’autre. Mais combien ces caractères de la civitas du premier moyen âge diffèrent de ceux de la civitas antique ou de la bonne ville du xiiie siècle !

À vrai dire, cette vie des cités épiscopales est le contraire de la vie urbaine. Elle n’existe pas pour elle-même : elle ne sert qu’à des buts ecclésiastiques[1]. Au lieu que la ville soit alors, comme à l’époque romaine, le centre et en quelque sorte le résumé de toute une circonscription politique ou, comme au moyen âge, un membre autonome et puissant de la hiérarchie féodale, une seigneurie collective, elle n’est guère qu’un ensemble de gens d’Église, d’officiers seigneuriaux, de serviteurs et de serfs de toute espèce. Sa population se répartit en groupes fort différents, suivant chacun son droit et ses usages propres. Le mot burgensis n’existe pas encore, et, ce que les textes appellent civis, c’est non l’homme auquel le droit reconnaît une condition particulière, mais tout simplement l’habitant laïque de la civitas[2].

Il y a plus. La ville n’est pas seulement le centre d’un grand domaine ; elle consiste le plus souvent dans la juxtaposition de plusieurs centres de grands domaines. Il est rare qu’à côté du castrum fortifié, dans les villes épiscopales, il n’existe pas quelque immunité ou quelque seigneurie féodale. Parfois, c’est un laïque qui possède son territoire propre, à Worms, par exemple, le duc de Franconie, et à Tournai, le châtelain. Le plus souvent, c’est un monastère : Saint-Rémy à Reims, Saint-Léger à Cognac, Saint-Martin à Tours.

D’autre part, toutes les villes ne sont pas des résidences d’évêques. Il arrive que leur premier occupant est une abbaye, comme à Saint-

  1. La preuve que le caractère laïque de la ville s’efface devant son caractère ecclésiastique est fournie par le fait de la substitution fréquente, aux noms de lieux anciens, de noms d’églises ou d’abbayes. Ainsi, Sithiu est devenu Saint-Bertin ; Elnone, Saint-Amand ; Andaginum, Saint-Hubert ; Sarchinium, Saint-Trond. Liège a même failli, au xe siècle, s’appeler Saint-Lambert. Kurth, les Origines de la ville de Liège, p. 66 et suiv.
  2. Il arrive même fort souvent que le mot civis désigne aussi bien l’habitant d’un village que celui d’une ville. Il en est ainsi, par exemple, dans les lois de Burchard de Worms. Koehne, Der Ursprung der Stadtverfassung in Worms, Speier und Mainz, p. 31. On trouve encore civis employé dans le sens d’incola. Rietschel, op. cit., p. 93.