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se porte vers ces endroits. Il s’y dirige naturellement comme les eaux vers les vallées. Voyez la situation des premières villes médiévales : Bruges, Rouen, Bordeaux, Hambourg, au fond d’un estuaire ; Paris, Cologne, Worms, Amiens, Avignon, sur un cours d’eau ; Gand, Liège, Lyon, Mayence, au confluent de deux rivières. Les gués, les ponts, les croisements des routes qui joignent les uns aux autres les divers bassins fluviaux, voient apparaître d’autres villes. Les noms de Maestricht et d’Utrecht[1] nous rappellent encore que ces villes doivent leur naissance aux ponts de la Meuse, comme Avignon doit la sienne à celui du Rhône. Francfort-sur-le-Mein est le gué des Francs (Vadum Francorum) Strasbourg, la cité des routes. Ailleurs, comme par exemple à Verdun, à Bâle et à Malines, la ville se forme dans l’endroit où le fleuve commence à être navigable, la nécessité d’embarquer ou de débarquer les marchandises en cet endroit y amenant naturellement une grande activité commerciale. Bref, on peut dire que la formation des villes médiévales est due à des causes purement naturelles et qu’elle s’explique non par l’histoire politique, mais par la géographie[2]. L’État n’est encore, à cette époque, ni assez centralisé ni assez perfectionné pour maintenir artificiellement une population urbaine en un point où, laissée à elle-même, elle ne se serait pas portée[3].

Si cela est vrai, on comprend facilement que la plupart des premières villes du moyen âge aient dû s’établir sur les emplacements occupés jadis par les villes romaines.

Les villes romaines, en effet, n’étaient pas des créations artificielles. Leur emplacement réunissait, presque toujours, la plupart des conditions géographiques sans lesquelles une agglomération urbaine de quelque importance ne peut se maintenir et prospérer. Il n’y a donc rien d’étonnant à voir presque toutes les civitates se réveiller et reprendre une activité engourdie pendant de longs siècles, lorsque à l’âge agricole succède en Europe une nouvelle vie économique. Situées d’ailleurs à l’intersection de ces voies romaines, de ces indestructibles chemins de César qui ont été durant des centaines d’années les seules grandes

  1. Trajectum (Mosae) superius et Trajectum (Mosae) inferius. En Allemagne, Höxter doit aussi sa naissance au pont du Weser sur lequel passe la grande route de Cologne à Magdebourg. Hegel, Gilden, II, p. 392. En France, Tours ne commence à se développer qu’après la construction du pont sur la Loire. Giry, Établissements de Rouen, I, p. 187.
  2. Sur tout ceci, voyez surtout Ratzell, Anthropogeographie, I, p. 153, et II, p. 464 et suiv. — J.-G. Kohl, Der Verkehr und die Ansiedelungen der Menschen in ihrer Abhängigkeit von der Gestaltung der Erdoberfläche (1841). Falke, Geschichte des deutschen Handels, I, p. 199.
  3. Par exemple Karlsruhe, Saint-Pétersbourg, Washington, etc.