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le plat pays, viennent se fixer dans la ville pour y vivre de l’exercice du commerce, sont exposés à tout moment à se voir revendiquer par leur seigneur et réincorporer à la familia qu’ils ont quittée[1]. Du reste, même si l’immigré est libre de naissance ou passe pour l’être, la femme qu’il a épousée dans la ville peut être de condition servile, une ancilla[2]. Dès lors, ses enfants relèveront du seigneur à qui leur mère appartient. Un pouvoir étranger et par là odieux aura donc prise sur la famille. Le meilleur-catel, la mortemain, le buteil, tous ces prolongements du droit de propriété de l’homme sur l’homme, produits d’une civilisation purement agricole, sont incompatibles avec la vie nouvelle. De gré ou de force, il faut qu’ils disparaissent[3]. La personne du marchand doit être libre et libre aussi sa famille. La résistance des féodaux, quelque énergique qu’elle soit, sera brisée. Dès le xiie siècle, il est de règle que l’habitation d’an et jour dans la ville donne la liberté[4]. Sans doute, à l’origine, cette liberté est encore entourée de restrictions de toutes sortes. Le seigneur ne l’autorise pas pour les hommes de ses domaines, auxquels il défend de s’établir dans la ville[5]. De plus, il subsiste toujours dans celle-ci des enclaves, des immunités où le vieux droit reste en vigueur. Mais, en principe, la cause est gagnée. La condition normale du bourgeois est désormais celle de l’homme libre. Son serment vaut en justice, dit la charte de Liège, autant que celui du liber homo[6]. Sous la poussée de besoins nouveaux le vieux droit a fléchi, et la ville, au milieu du plat pays, apparaît maintenant comme une franchise.

Il faut bien remarquer d’ailleurs que la liberté n’a pas été recher-

  1. Voyez un exemple caractéristique dans Galbert de Bruges (éd. Pirenne), § 93.
  2. Ce cas a dû se présenter fort souvent. Les marchands immigrés dans les villes ne pouvaient guère y épouser que des femmes appartenant à l’ancienne population, et par conséquent la plupart du temps non libres. La question des mariages entre libres et non libres fait l’objet de stipulations assez nombreuses dans diverses chartes urbaines. Voyez, par exemple, celle de Laon, § 18 (Giry, Documents, p. 17). — Charte de Soissons (Ordonnances, XI, p. 219).
  3. Il n’y a guère de charte urbaine dans laquelle un ou plusieurs articles ne soient consacrés à l’abolition de la servitude personnelle. Il est inutile de citer ici des exemples d’un fait aussi général et aussi connu.
  4. Parfois le délai est beaucoup plus court. À Courtrai, par exemple, il ne comprend que quarante jours. Warnkœnig, Flandrische Staats und Rechtsgeschichte, II2, P. J., p. 137.
  5. Hegel, Städte und Gilden, II, p. 54. — Von Below, Historische Zeitschrift, LVIII, p. 210. — Ordonnances des rois de France, XI, p. 313.
  6. Si alicui libero homini ad faciendam legem suam unus aut duo liberi homines defuerint, bene licebit civibus Leodiensibus cum eo et pro eo jurare. Édits et ordonnances de la principauté de Liège, éd. Bormans, I, p. 29.