Page:Revue internationale, 3è année, tome IX, 1885.djvu/181

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celui qu’il reçut en Angleterre, pendant le règne d’Élisabeth, par l’ordonnance qui défendait de chanter les complaintes et classait le ménestrel lui-même parmi les « manants, les vagabonds et autres mendiants. » Mais d’autre part, l’Angleterre fut aussi le théâtre de la résurrection de la ballade romantique et de son entrée solennelle dans une nouvelle phase de son existence. La publication des Percy Reliques (Londres, 1705) fut comme l’inauguration de la période moderne, le commencement d’une époque où les ballades populaires devaient non-seulement être acceptées comme faisant partie de la littérature, mais étaient destinées â exercer une influence considérable sur les poètes lettrés, depuis Gœthe et Scott jusqu’à Dante Gabriel Rossetti.

La poésie populaire n’avait pourtant pas manqué d’admirateurs intelligents, parmi les hommes cultivés, même avant cette époque. Montaigne par exemple en avait déjà parlé ainsi : » La poésie populère et purement naturelle a des naifvetez et grâces par où elle se compare à la principale beauté de la poësie parfaicte selon l’art : comme il se voit es villanelles de Gascouigne et aus chançons qu’on nous raporte des nations qui n’ont connoissance d’acune science, ny mesme d’escripture. »

Cependant ce fut seulement après l’apparition du livre de l’évêque Percy (ainsi qu’en attestent les nombreuses fautes de ce livre même) que la classe lettrée prit vraiment au sérieux la chanson populaire. Les Percy Reliques furent suivies par le Volkslieder de Herder (1782), par les Minstrelsy of the Scottish Border de Scott (1802), par les Chansons populaires de la Grèce de Fauriel (1824) et par d’autres ouvrages trop nombreux pour être nommés.

Il y eut comme un mouvement irrésistible de « retour à la nature, » et le monde fatigué des formes classiques du dix-huitième siècle, écoutait la fraîche voix de la muse populaire, avec autant de plaisir qu’en éprouvait Giacomo Leopardi à entendre, du triste palais de son père, la voix de la jeune paysanne, qui chantait, de l’autre côté de la rue, tout en maniant la navette :

Sonavan lo quïeto
Stanze, e le vie dintorno,
Al tuo perpetuo canto,
Aller che all’opre femminili intenta
Sedevi, assai contenta
Di quel vago avvenir che in mente avevi.