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Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1883.djvu/73

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LA PRESSE ET LES LIVRES

le recteur Baduel ne resta pas célibataire, comme c’était la règle alors pour les fonctions de l’enseignement ; non seulement il se maria, mais il publia en outre une brochure pour exciter ses collègues à suivre son exemple. Dans l’ancienne université de Paris, la faculté de médecine était la seule qui n’imposât pas le célibat à ses membres. Pour la faculté des arts, il était de règle, et, « quand la règle disparut, dit M. Boissier, le préjugé resta. Au xviie et au xviiie siècle, les grands universitaires, comme Rollin, ne se marièrent pas, et les gens qui, en 1808, essayèrent de fonder l’Université nouvelle en y conservant autant que possible l’esprit des anciennes universités, insinuèrent dans les statuts l’article suivant : « Les proviseurs et censeurs des lycées, les principaux et régents des collèges, ainsi que les maîtres d’études de ces écoles, seront astreints au célibat et à la vie commune. » Une prescription pareille, au lendemain de la Révolution, semble fort singulière et ne pouvait durer longtemps. »

Marc-Antoine Muret, le second personnage étudié par M. Boissier, nous est, malgré sa haute réputation d’éloquence et le théâtre éclatant où il fut placé, beaucoup moins sympathique que l’honnête recteur de l’université de Nîmes. À Bordeaux où il débute, puis à Paris et à Toulouse, Muret mène une vie fort dissipée et se trouve mêlé à plus d’un scandale. Obligé de quitter la France, il passe en Italie et, à Venise comme à Rome, il ne montre pas des mœurs plus honnêtes. Cependant il arrive dans la capitale du monde catholique à la plus haute position : il est non seulement l’orateur officiel des grandes occasions, mais encore le rédacteur des dépêches les plus délicates de la chancellerie romaine. C’est à ce titre qu’il fut appelé par le pape Grégoire XIII à faire, en présence de l’ambassadeur français, l’éloge de la Saint-Barthélemy. « Ce n’est pas qu’il fût an fanatique, dit M. Boissier ; je me figure qu’il n’avait de passion que pour les lettres et que le reste le touchait peu. Mais ces indifférents sont sujets à des colères terribles, quand ils soupçonnent qu’on veut troubler cette bienheureuse tranquillité qui leur est si précieuse… C’est ainsi que Muret fut amené à écrire ce discours, qui est une honte pour sa mémoire. »

Pour l’enseignement, Muret avait une qualité essentielle : il aimait son état avec passion. Tandis que beaucoup de ses collègues ne faisaient leurs leçons qu’à contre-cœur, regrettant les loisirs de leur cabinet où ils composaient de beaux ouvrages, Muret était heureux de se trouver au milieu d’une ardente jeunesse, et c’est avec une véritable allégresse qu’il remontait dans sa chaire après quatre mois de vacances. Ce n’est pas qu’il eût toujours à se louer de ses auditeurs ; bien souvent il dut supporter les sifflets et les injures d’étudiants paresseux, et souvent, surtout dans sa vieillesse, il fut obligé de se retirer sans pouvoir faire sa leçon. Dans son zèle et par attachement pour les élèves studieux, il