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LES PIÈCES PÉDAGOGIQUES DE MOLIÈRE

celle-ci en prenant un nom qui a la particule. 1l est fort à son aise, point avare, sait ouvrir sa bourse ; il a des amis qui.se souviennent de lui avec plaisir ; il accueille bien ceux qui viennent en leur nom ; il se montre civil, obligeant, serviable ; il est tel enfin que, malgré ses erreurs, nous nous intéressons à lui et mème le plaignons. La personne n’est point faite ici pour discréditer le système. Lors donc que le système sera condamné, ce pe sera point, comme dans la pièce précédente, à cause de la personne qui le soutient et le représente, mais bien à cause du système lui-même. La démonstration sera ainsi plus rigoureuse.

Avec le personnage d’Arnolphe s’est relevé celui de la jeune fille : la comédie entière a haussé le ton. Isabelle d’ailleurs n’était qu’une ébauche ; Agnès est une figure achevée, un caractère, le type même de l’ingénue ; on dit, dans la langue du théâtre, « jouer les Agnès ». Isabelle, si je pouvais la prendre au sérieux, m’inquiéterait ; son innocence est singulièrement hardie. C’est elle qui prend l’initiative, j’allais dire l’offensive, qui la première parle ou fait parler à Valère ; elle est trop habile à ruser, à mentir ; elle va trop loin, elle risque trop. Agnès est la plus douce, la plus tranquille et la plus honnête des créatures ; on est tenté de dire d’elle avec Horace :

Un plus beau naturel peut-il se faire voir ?
Et n’est-re pas sans doute un crime punissable
De gâter méchamment ce fond d’âme admirable ?

Sa vie est laborieuse, monotone, enfermée ; elle l’accepte doucement, tranquillement ; pas une plainte, pas un murmure ; celle-ci n’est pas une révoltée ; elle ne songe même pas à s’ennuyer ; elle travaille consciencieusement à ses cornettes et aux chemises de nuit d’Arnolphe. Dans cette paix on vient la chercher ; elle charme, elle attire, mais c’est à son insu : elle n’est ni agressive ni provocante., Elle se défend mal sans doute ; mais elle est simple et, comme elle dit, sans malice : elle ne sait pas, elle ne voit clair ni en elle-même ni dans les autres ; et où aurait-elle puisé cette science ? Elle est bonne ; c’est par sa bonté qu’on la prend ; elle qui s’apitoie sur le petit chat qui est mort, elle ne peut sans douleur apprendre qu’elle a blessé quelqu’un : ses veux sont les coupables ; la voici prête à guérir