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Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1885.djvu/310

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REVUE PÉDAGOGIQUE


Et la poutre de fer, dont l’ouvrier répond,
Sert un beau jour, plus tard, aux charpentes d’un pont,
Et sur le pont hardi qui fléchit et qui tremble
Voici qu’un régiment — six cents hommes ensemble —
Passe, musique en tête, et le beau régiment
Sent sous ses pieds le pont fléchir affreusement……
Le pont fléchit, va rompre… et les six cents pensées
Vont aux femmes, aux sœurs, aux belles fiancées,

— Et dans le cœur des gens qui voient cela des bords
La patrie a déjà pleuré les six cents morts !
Chante, chante dès l’heure où ta forge s’allume,
Frappe, bon ouvrier, gaîment, sur ton enclume !
Le pont ne rompra pas ! Le pont n’a pas rompu !
Car le bon ouvrier a fait ce qu’il a pu,
Car la barre de fer est solide et sans paille…
Chante, bon ouvrier, chante en rêvant, travaille,
Règle tes chants d’amour sur l’enclume au beau son !
Ton cœur bat sur l’enclume, et bat dans ta chanson !
… Les étincelles d’or, en tous sens élancées,
C’est le feu de ton cœur et tes bonnes pensées.

L’homme n’a jamais su, l’homme ne saura pas
Combien d’hommes il a soutenu de ses bras
Au-dessus du grand fleuve et de la mort certaine !
Et pas un seul soldat, et pas un capitaine
Ne saura qu’il lui doit la vie, et le retour
Au village, où l’attend le baiser de l’amour.
Nul ne dira : « Merci, brave homme, » à l’homme juste
Qui fit un travail fort avec son bras robuste…
Mais peut-être qu’un jour, quand ses fils pleureront
En rejetant le drap de son lit sur son front,
Quand la mort lui dira le secret à l’oreille,
Peut-être il entendra tout à coup, Ô merveille !
Il verra les esprits invisibles de l’air
Lui conter le destin de sa poutre de fer,
Et lorsqu’on croisera ses pauvres mains glacées,
Lui, vivant immortel dans ses bonnes pensées,
Laissant sa vie à tous en exemple, en conseil,
Sentira rayonner son cœur comme un soleil !