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REVUE PÉDAGOGIQUE

ma vie. Où j’ai eu à souffrir, c’est pendant mes trois années de l’École normale, et deux ans après en être sorti, quand je devins suppléant de M. Cousin à la Sorbonne avec quatre-vingt-trois francs d’appointements par mois.

Pour revenir au collège de Vannes, je vous dirai d’abord que nous n’y étions pas très confortables. L’empereur avait eu l’idée d’en faire un lycée. Le rez-de-chaussée était déjà construit, en façade sur la place, à côté de l’ancienne chapelle, quand sure vinrent les événements de 1814. La construction fut interrompue, et les murs étaient restés là, à l’état de ruine moderne, ce qui constitue le plus attristant des spectacles. Derrière cette masure s’étendait une très vaste cour, mal entretenue, bordée au fond par les beaux bâtiments de l’ancien collège des Jésuites, où étaient nos classes. Elles occupaient le vaste rez-de-chaussée, le premier étage restant inoccupé et désert. C’était une suite de salles immenses, éclairées d’un côté sur la cour, de l’autre sur la campagne. On y accédait en descendant trois marches de pierres, disjointes par le temps. Elles étaient dallées ; les murs étaient nus, lézardés, noirâtres. Au milieu de la salle, un poteau mal équarri soutenait le plafond. Des bancs de bois avec dossier couraient sur les quatre murs ; il n’y avait ni tables ni pupitres, on écrivait sur ses genoux, tout le milieu de la classe était vide. La chaire du professeur était en face de la porte. On y montait par un escalier ou plutôt par une échelle de huit à dix marches. Le régent, car c’était le nom que l’on donnait à nos maîtres, paraissait comme juché sur un tonneau. Il n’y avait bien entendu ni poêle ni cheminée. Le froid dans ces salles empierrées, situées en contre-bas au fond d’une cour, entièrement démeublées, immenses, avec leurs six fenêtres mal jointes, était tellement intense qu’à certains jours nous ne pouvions plus tenir nos plumes. Le maître frappait trois coups sur son pupitre au beau milieu de nos exercices. Aussitôt nous nous levions tous comme des frénétiques en poussant des cris perçants. Nous nous prenions par la main, et nous dansions une ronde effrénée autour du poteau. Au bout d’un quart d’heure, trois nouveaux coups nous ramenaient à nos places. C’était un système de chauffage économique. Je crois qu’il n’était pas malsain. En tout cas, nous avions tous une bonne santé et une grande