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Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1898.djvu/200

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REVUE PÉDAGOGIQUE

qu’en un seul et même homme, il parut à ses contemporains plusieurs personnages différents, personnages extérieurs, disons-le vite, mais qui plus d’une fois donnèrent le change sur la personne morale qu’ils recouvraient, comme les feux mobiles d’un cristal n’en laissent pas voir le noyau permanent. C’est ce noyau qui fut en M. Jules Simon très solide et très pur, que je voudrais essayer de mettre à nu et de décomposer.

Avant toute autre chose, M. Jules Simon a été un philosophe, et c’est de sa philosophie qu’il faut partir pour le comprendre.

Sa pensée personnelle commence à poindre vers la vingtième année de son âge, alors qu’il était élève à l’École normale. Il y était arrivé, venant de Bretagne, où il avait poussé en plein milieu catholique, d’abord au village de Saint-Jean-Brévelay, sous l’aile d’une mère pieuse, douce et charitable autant que le fut jamais créature du bon Dieu ; puis au collège de Vannes, dans cette bien curieuse maison d’éducation si souvent dépeinte par lui, qui n’avait jamais vu et ne devait jamais revoir pareil écolier, ni si vaillant petit homme dans un écolier. Ses lettres, datées de l’École normale, nous le montrent dans une crise d’âme bretonne exilée, et aussi dans le trouble de la puberté intellectuelle. La question qui l’agite est la question religieuse. Il était arrivé de sa Bretagne croyant et pieux. Pieux et croyant il restait toujours, mais sans la certitude de l’être encore le lendemain. Il avait senti quelque ébranlement dans ses croyances, et il faisait tout le possible pour l’arrêter, cherchant partout des étais dans les prédications de Lacordaire alors à ses débuts, dans de longues stations à Notre-Dame, où il trouvait des harmonies « avec ses pensées vagues, sublimes et douces, » dans d’interminables entretiens métaphysiques et religieux avec les rares camarades qu’il fréquentait, dans une correspondance assidue avec ses amis de Bretagne.

Ce souci et cette appréhension décidèrent probablement de son avenir intellectuel. Sa vocation de professeur était arrêtée ; mais entre les lettres, l’histoire et la philosophie, il n’avait pas encore pris parti. À l’École normale, il reçut la secousse de deux hommes supérieurs, Michelet et Victor Cousin, et l’histoire et la philosophie lui furent révélées en même temps. Il semble qu’entre les deux il ait hésité un instant. S’il avait suivi l’his-