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Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1909.djvu/210

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REVUE PÉDAGOGIQUE

naturaliste de toute la Renaissance conduit nécessairement à la satire des médecins (p. 92), on n’est pas autorisé à reconnaître dans les médecins de Molière les répliques de portraits espagnols. Si Tartufe se rattache à « un universel courant anti-religieux », s’il s’explique à la fois par « la vieille tradition gauloise » et « l’esprit de la Renaissance » (p. 102). n’exagérera-t-on pas dans la suite en disant qu’il « est originaire d’Espagne » (p. 188), quelque instructive que puisse être d’ailleurs la comparaison entre Tartuffe et le « Montufar » d’une nouvelle espagnole ? S’il y a parallélisme entre le développement de la préciosité en France et celui du cultisme en Espagne (p. 83), n’était-il pas inévitable que, sans copier un modèle espagnol, Molière se rencontrât avec les poètes de Madrid dans la satire du bel esprit et du langage affecté ? Il en est de même pour les traits, les mots, les situations qui sont de tous les temps et de tous les pays : ils abondent dans les pièces de Molière, qui, en artiste classique, veut dessiner des types universels ; et il est fatal que parfois il les ait en commun avec des écrivains antérieurs, puisqu’on a mis sur la scène avant lui des avares et des hypocrites, et que certains gestes d’avare ou d’hypocrite se sont reproduits identiques dans toutes les civilisations. En pareil cas, lc rapprochement ne prouve pas l’influence, Tout au plus peut-on quelquefois admettre une source commune : si Hurtado de Mendoza a eu « le mérite incontestable de tracer les caractères des deux frères, de tempérament opposé, qui reparaîtront dans l’École des Maris » (p. 277), Térence avait eu avant lui le même mérite : Molière n’a-t-il pas recouru directement au latin plutôt qu’à l’espagnol ?

Tout cela revient à dire que les éléments d’origine espagnole ne sont peut-être pas, dans le théâtre de Molière, aussi prépondérants que le pense M. H. C’est qu’en effet on aura beau énumérer des vers, des scènes, des personnages imités de l’espagnol ; il n’en restera pas moins vrai que l’esprit de la comédie de Molière est opposé à l’esprit de la comedia ; loin de subir l’influence espagnole, Molière réagit contre elle et la contredit ; c’est un courant qu’il remonte au lieu de le suivre. N’avoir pas suffisamment reconnu ou marqué ce caractère fondamental, c’est la plus grosse critique qu’on puisse adresser au livre de M. H., celle qui résume toutes les autres. Pour parler plus exactement, M. H. ne néglige pas de noter (p. 49 et suiv.) le « contraste éclatant » qui semble exister « entre l’esprit de Molière et celui de la comedia ou plutôt de toute la littérature castillane », entre le « naturalisme » de nos classiques et le « romantisme » espagnol ; mais il est certain que dans l’impression d’ensemble laissée par son livre, le souvenir de cette antithèse occupe très peu de place. Tantôt M. H. s’est efforcé de démontrer que Molière, tout en luttant contre l’invasion du génie espagnol, « n’a pas échappé tout à fait à la contagion » (p. 53) ; tantôt il a présenté Molière et les adversaires de la mode espagnole comme « ayant reçu de l’Espagne même quelques armes avec lesquelles ils la combattirent » {p. 56), c’est-à-dire qu’il a voulu expliquer le