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Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1909.djvu/506

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REVUE PÉDAGOGIQUE

où l’œuvre apparaît dans un raccourci commode. Et Marivaux n’est pas de ceux qui souffrent, à être présentés en « Pages choisies » : il est plutôt de ceux pour qui l’on inventerait cette pratique, si les nécessités de l’enseignement ne l’avaient d’ailleurs imposée. Combien y a-t-il de gens qui lisent Marivaux d’un bout à l’autre ? ou qui, ayant essayé de le lire d’un bout à l’autre, n’aient pas emporté de leur tentative une désagréable impression de lassitude ? On ne peut se dissimuler certains défauts de Marivaux, quand on lit ses ouvrages sans en rien passer : on y aperçoit des longueurs, des redites, l’abus des meilleures qualités, et particulièrement une excessive minutie de l’analyse psychologique, enfin, dans les romans et les journaux, une évidente insuffisance de composition. L’ « extrait » est la forme la plus favorable pour cet auteur dont le talent était d’autant plus à son aise que la carrière à parcourir était plus restreinte, dont les bonnes comédies ont souvent un acte, jamais plus de trois, et qui, après avoir entrepris deux grands romans, ne termina ni l’un ni l’autre.

Les extraits de M. Vial sont très bien choisis. Quant à l’introduction qui les précède, c’est une étude complète et juste sur Marivaux : sans admiration ni sévérité exagérée, elle lui donne dans notre théâtre, dans notre littérature et dans son siècle la place qui lui revient. — Il ne s’agit pas ici de refaire cette étude, mais de dire simplement quel souvenir on peut garder de Marivaux après avoir lu les morceaux réunis par M. Vial.

La moitié du volume à peu près est occupée par le théâtre de Marivaux, C’est dans ses comédies qu’il a le plus approché de la perfection ; ce sont elles qui lui ont acquis la renommée la plus durable, et qui lui permettent d’être quelquefois encore d’actualité, lorsque la Comédie-Française reprend telle eu telle de ses pièces. Ce qui fait la valeur de ce théâtre, c’est l’analyse originale et délicate de certains mouvements de l’âme : les scènes qui le représentent sont donc recueillies parmi celles où Marivaux manifeste le plus habilement son talent de psychologue.

Nous sommes, apparemment, dans la France du xviiie siècle, mais plutôt dans un pays indéterminé, daus le même monde fantaisiste où se joueront par la suite les proverbes de Musset. Les personnages s’appellent Lélio, Arlequin, Colombine et Silvia, Dorante, Frontin, Damis et Lucidor. Les intérêts d’argent ou d’ambition qui d’ordinaire conduisent les hommes réels et les héros de comédie ont peu ou point. de prise sur ceux-ci. Par un caprice, par une gageure, par l’idée d’une expérience singulière, ils se sont placés dans une situation exceptionnelle que le hasard complique encore : Lélio s’est retiré dans un désert pour y vivre en ermite ; et voici que l’événement lui donne pour voisine une comtesse de la même humeur que lui (La Surprise de l’Amour). Lucile jure de ne jamais se marier, Damis a fait le même serment ; et voici que les parents de Lucile et de Damis veulent précisément les unir (Les Serments indiscrets). Silvia change de costume