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Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1909.djvu/508

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REVUE PÉDAGOGIQUE

pouvait être la conversation dans le beau monde du xviiie siècle, Jamais on n’a parlé un français plus pur et plus élégant.

C’est au théâtre que Marivaux trouva l’emploi le plus heureux de ses qualités. Mais il ne se contentait pas d’être auteur dramatique : ses deux romans, La Vie de Marianne et Le Paysan parvenu, ont fourni au livre de M. Vial bon nombre de passages intéressants, où Marivaux se montre un peu différent de ce qu’il apparaît dans ses comédies. S’il est moins maître de la matière qu’il traite, il est plus varié, et son observation est plus riche. Le roman ne peut s’accommoder de cette atmosphère irréelle où s’agitaient les comédies : de fantaisiste, Marivaux devient réaliste, pour situer dans le décor convenable les aventures de Marianne ou du paysan Jacob. Une boutique de lingère, une dispute entre une femme du peuple et un cocher, une cuisine et une salle à manger chez deux vieilles filles dévotes, voilà les tableaux qu’il trace maintenant, sans reculer devant le détail vulgaire et le mot précis, sans négliger d’indiquer les costumes et les gestes. Dans cette copie de la réalité, la peinture de mœurs, presque tout à fait absente des comédies, prend nécessairement place : tout un petit monde d’ancien régime vit dans le couvent où se réfugie Marianne ; et la carrière de Jacob, beau gars de village qui « parvient » à être fermier général, nous enseigne, en se développant devant nous, bien des détails sur la société d’alors. Les façons d’être et de penser les plus communes en France à cette époque rencontrent souvent leur expression dans les romans de Marivaux, et l’on y discerne, par exemple, cette « sensibilité » qui fut si fort à la mode, de la Régence à la Révolution, cette faculté de s’attendrir et de verser de « douces larmes » à laquelle philosophes, artistes et gens du monde attachaient tant de prix. Cependant, ce à quoi Marivaux, suivant l’irrésistible penchant de sa nature, s’est complu par-dessus tout, dans ses romans comme au théâtre, c’est l’analyse psychologique, l’étude patiente des cœurs : il veut que ses lecteurs n’ignorent aucune des idées et des émotions qui déterminent les moindres démarches de ses héros. Faute de savoir se borner et consentir aux sacrifices utiles, il a été, dans cette analyse, trop scrupuleux, trop lent, interminable : c’est lui rendre service que de grouper, comme le fait M. Vial, les pages les plus caractéristiques et les meilleures de ces deux longues œuvres.

Enfin Marivaux fut journaliste. À l’imitation des Anglais, sans s’astreindre aux formes de la comédie ou du roman, il exprima, en essais d’étendue variable, ses observations morales et ses opinions, et nourrit d’articles ainsi composés les feuilles périodiques par lesquelles il tenta la fortune à plusieurs reprises : Le Spectateur français, L’Indigent philosophe, Le Cabinet du philosophe. Souvent on y remarque soit la première esquisse, soit la réplique d’une analyse psychologique utilisée d’autre part dans une comédie (comparer, dans le livre de M. Vial, les pages 101 et 341, 161 et 342). Mais l’ingénio-