Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1911.djvu/285

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Ainsi, il est hors de doute que les premiers éléments de l’instruction faisaient défaut à la plupart des paysans, même sachant signer leur nom. On pourrait supposer que l’exercice de la lecture, entretenu par l’usage des livres de piété, leur était plus familier et leur permettait au moins d’acquérir quelques notions pratiques nouvelles. Hélas ! dans la plus vaste portion du territoire, un obstacle nouveau, auquel on a rarement songé, s’opposait à tout progrès : le paysan savait lire peut-être, mais il ne comprenait pas le français, et le patois restait pour la masse la seule langue intelligible. L’enquête faite par Grégoire est tristement édifiante sur ce point.

Le patois. — Si le français était généralement parlé et compris dans la vallée de la Seine, si, en Bourgogne et en Franche-Comté, « tout campagnard entend très bien le français », en Artois « la populace des villes parle patois, quelquefois au point qu’elle se rend inintelligible aux étrangers ». Vers le Centre et le Midi, la confusion des langues est complète. À l’école, la lecture se faisait d’abord en latin, puis dans des livres de piété qui n’étaient guère plus clairs. Pour être compris, le magister parlait patois, et l’enfant sorti de l’école oubliait vite le peu qu’il avait appris de la langue nationale.

À l’église, le prône de la grand’messe paroissiale se faisait en patois dans la plus grande partie des provinces, particulièrement dans le Midi. Des prêtres s’assujettissaient à étudier le patois de la région où ils se trouvaient afin d’être compris de leurs auditeurs[1]. Dans le Gers, dit un correspondant de Grégoire, « on n’a prêché et on ne prêche qu’en patois ». Dans le Tarn-et-Garonne, « il n’y a qu’un très petit nombre de gens de la campagne qui parlent et entendent le français ; de là vient qu’on est obligé de faire les prônes, les instructions et les catéchismes en patois ». Dans l’Aude, dans l’Aveyron, dans la Gironde, on prêche en français dans les villes et leur banlieue, mais dans les campagnes les curés parlent en patois. Dans le Périgord, dit un autre correspondant, « quand nos curés arrivent du séminaire, ils prêchent en français, ils citent même du latin, et on les

  1. On cite à cet égard l’exemple de Vincent de Paul et de Alain Solminihac, évêque de Cahors (F. Lucard, Des écoles chrétiennes et gratuites, p. 13).