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Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1912.djvu/300

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280 REVUE PEDAGOGIQUE s’instruire soi-même, en vue d’instruire plus tard les enfants du peuple, fut le premier soin d’Émile Devinat. Il se jeta avec fougue dans l’étude, apprenant avec plus de zèle que de méthode, toujours inquiet de ne pas savoir assez, sup- pléant à force de travail personnel à l’insuffisance des moyens d’instruction. A seize ans, il entre à l’école normale. Le régime en était demi-claustral et morose. Ceux qu’il ne courbait pas devenaient par réaction des fervents de la raison et des fana- tiques de la liberté. L’enseignement littéraire y était représenté par l’orthographe, la grammaire, l’histoire. Quoi d’étonnant qu’Émile Devinat se soit donné à l’histoire ? Notre, maître — j’entends celui qui le fut par ses livres et surtout par son admi- rable manuel d’histoire de France — Victor Duruy, notre maitre, posait à la dernière page le grand problème d’alors : « La France a perdu son sang et son or ; de l’or on en retrouvera par le tra- vail, mais comment refaire l’âme de la France ? » Refaire l’âme de la France ! Les normaliens et les instituteurs sentaient que c’était à eux qu’incombait cette tâche, et il s’y préparaient. Émile Devinat le sentit plus que tout autre : il mit au service de sa foi patriotique une intelligence avisée et une ardeur d’apôtre. Pendant trois années il exerce ensuite les fonctions d’institu- teur adjoint ; libre désormais, et ayant quelques ressources de bibliothèque, il continue son instruction personnelle. On le remarque, Dès 1880 il est appelé à donner l’enseignement dans l’école normale de Caen, ville universitaire et savante. Ici se place une nouvelle époque décisive pour l’évolution de son esprit. À la grande voix de Jules Ferry et des chefs de la majorité républicaine, sous l’impulsion des Gréard, des Buisson, des Pécaut, la France s’apprête à constituer l’école nationale selon les principes de la Révolution ; un magnifique enthousiasme anime tous les cœurs ; les jeunes gens sont transportés. Ils n’en sentent que mieux leur insuffisante préparation. Heureusement on leur offre un séjour à Sèvres, où des professeurs éminents doivent faire l’éducation des éducateurs. Des premiers, Émile Devinat répond à l’appel. Voilà rassemblés quarante jeunes hommes, d’origine, d’âge et de tempérament différents, mais également désireux de collaborer à une œuvre supérieure dont ils sentent la nécessité. Puis, cette vaillante phalange est envoyée