Aller au contenu

Page:Revue pédagogique, second semestre, 1882.djvu/110

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
102
REVUE PÉDAGOGIQUE

vieilles, les éternelles questions qu’agite la philosophie. Certes, il est à mille lieues de notre pensée de croire que ça soit là une mode de passage, ou le produit de la fantaisie capricieuse d’un ministre où d’un gouvernement ; c’est au contraire une nécessité que notre état moral et social nous impose ; il n'y a qu’à la reconnaître et à y faire face virilement. Mais ce n’est pas moins une épreuve difficile, périlleuse même, que cette sorte de sécularisation de l’enseignement philosophique, transporté brusquement d’un petit nombre d’initiés, d’une classe restreinte, à la foule innombrable des maîtres primaires. Et si l’on songe que ces maîtres parlent aujourd’hui durant quatre ou cinq ans de suite au peuple entier des enfants de la France, on comprendra que l’issue de l’épreuve intéresse la santé même de l’âme de la nation.

Ajoutons que tout un sexe entre aujourd’hui, on peut dire pour la première fois, en communauté de risques et de périls, de pertes et de profits avec l’autre sexe. L’enseignement public et laïque des femmes est fondé ; les quatre-vingts écoles normales départementales, destinées à recruter l’innombrable personnel laïque des écoles primaires de filles, seront debout d’ici à deux ans, et là aussi on soumettra l’esprit des jeunes maîtresses à la discipline de la pédagogie rationnelle et historique. Ce seront les mèmes sciences, les mêmes programmes, les mêmes méthodes que dans les écoles d’hommes : à dire vrai, imagine-t-on qu’il en pût être autrement ? Mais qui ne voit que l’on doit redoubler ici de précautions, si l’on ne veut pas que les descriptions exactes et savantes de la nature humaine empêchent de voir en plein et au vrai cette nature en chaque enfant, que les formules tiennent lieu de la vie, que l’intelligence, trop ou mal développée, amortisse le sentiment et éteigne l’imagination, que le savoir trouble le regard simple et franc de la jeune maîtresse, que les facultés d’intuition directe, attribut de l’esprit féminin, soient énervées et faussées ?

On voudra bien considérer maintenant que les programmes d’études des écoles normales sont fort étendus, qu’ils comprennent une grande variété de matières, que de plus on attribue avec raison une importance croissante aux travaux de réflexion, d’invention, de composition, lesquels demandent beaucoup de temps et réclament une grande place dans la répartition des heures