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Page:Revue pédagogique, second semestre, 1882.djvu/113

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DE L’USAGE ET DE L’ABUS DE LA PÉDAGOGIE

s’éloigner de la vie, à se payer de formules, à subtiliser et à dogmatiser ; elle peut obscurcir l’intelligence ou paralyser le ressort individuel sous l’amas des matières ; mais aucun de ces abus ne lui est en quelque sorte inhérent, aucun n’est inévitable. Si donc il est permis de craindre, il serait puéril de reculer : il n’y a qu’à être sur nos gardes et à prendre nos précautions.

Si j’osais dire toute ma pensée, je voudrais que le premier article de foi de la pédagogie ou sa conclusion dernière fût le franc aveu de l’impuissance où elle est de former à elle seule des instituteurs. Je voudrais qu’elle nous apprit sans relâche, par tous les moyens dont elle dispose, que ni le bon enseignement ni [a bonne éducation ne sont le résultat assuré de la science, le produit en quelque sorte infaillible d’un calcul savant, d’un concert de principes, de règles, de procédés tirés de l’exacte observation de la nature ; qu’il y a ici un élément qui échappe à toutes les prises de la science, une part considérable à faire, je ne dis pas tant aux dons innés, au talent, aux aptitudes particulières, mais à l’initiative personnelle, à la manière dont le maître s’éprend ou ne s’éprend pas de la vérité qu’il enseigne et des esprits auxquels il l’enseigne : en un mot à la liberté, Faire des professeurs instruits, c’est à merveille ; et pourtant c’est peu si vous ne réussissez à faire en même temps, qu’on nous passe le mot, des artistes, c’est-à-dire des esprits vivants et libres, supérieurs à la matière qu’ils enseignent, aux méthodes et aux procédés qu’ils emploient, prompts à se juger eux-mêmes, et toujours en état de mesurer d’un clair regard tout ensemble le but à atteindre et le chemin que l’on suit. Nous résignerons-nous à faire de ces qualités un privilège des professeurs de l’ordre le plus élevé ? A aucun prix. Nous les réclamons pour les maîtres et les maîtresses des écoles rurales. Que leur savoir soit médiocre, mais que dans ce savoir ils se meuvent à l’aise, le dominant, le pliant à leur usage. Si la pédagogie leur a proposé de grands modèles, si elle a éveillé en eux une généreuse passion, si de plus elle a aiguisé leur sens critique, bénissons-la : ils sauront alors discerner les physionomies et les caractères divers, les aptitudes, les besoins, les côtés faibles et les côtés saillants ; ils distingueront une classe d’une autre classe et un enfant d’un autre enfant. Ils sauront viser dans leurs leçons,