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DE L’ÉDUCATION DES FILLES

Jacqueline Pascal. L’étrange émotion que cause, même à des siècles de distance, le spectacle de ces enfants observant le silence ou parlant bas du lever au coucher, ne marchant jamais qu’entre deux religieuses, l’une devant, l’autre derrière, pour empêcher que, « ralentissant le pas sous le prétexte d’une incommodité, elles aient entre elles quelque communication » ; travaillant « de façon à n’être jamais réunies deux ou trois ensemble » ; passant d’une médiation à une oraison, d’une oraison à une instruction, n’apprenant, en dehors du catéchisme, que la lecture, l’écriture, et, le dimanche, « un peu d’arithmétique, les grandes d’une heure jusqu’à deux, les petites de deux heures à deux heures et demie » ; les mains toujours occupées pour empêcher l’esprit de s’égarer, mais sans pouvoir s’attacher à leur ouvrage, « qui devrait plaire d’autant plus à Dieu qu’elles s’y plairaient moins elles-mêmes » ; combattant toutes leurs inclinaisons naturelles, méprisant les soins d’un corps « destiné à servir aux vers de pâtures ; ne faisant rien, en un mot, que dans un esprit de mortification[1] ! Qu’on se représente ces journées de quatorze et de seize heures, se succédant et s’appesantissant sur la tête des petites sœurs, pendant six ou huit ans, dans cette solitude morne, sans que rien y apportât le mouvement de la vie, rien que le son de la cloche annonçant le changement d’exercice ou de pénitence ; et l’on comprendra le sentiment de tristesse dont était pénétré Fénelon, lorsqu’il parle des ténèbres de la caverne profonde où l’on tenait enfermée et comme ensevelie la jeunesse des filles[2]. Sans doute, il ne faut pas perdre de vue que cet idéal janséniste, approprié aux inclinations de certaines âmes, a formé des femmes qui ravissaient l’admiration de Racine et le respect de Boileau[3] ; mais, en le proposant pour fondement de l’éducation commune[4], Jacqueline Pascal n’oubliait-elle pas que, si les vers, les billets,

  1. Règlement pour les enfants de Port-Royal, composé par sœur Sainte-Euphémie, en 1657, et imprimé en 1665, à la suite des Constitutions. — Voir V. Cousin, Jacqueline Pascal, appendice no 2.
  2. Avis à une dame de qualité sur l’éducation de sa fille.
  3. Racine, Prologue d’Esther ; Boileau, Satire des femmes. — Cf. Sainte-Beuve, Port-Royal, liv. V.
  4. Voir l’Instruction chrétienne pour l’éducation des jeunes filles, par le P. La Chaise (1687).