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DE L’ÉDUCATION DES FILLES

Mme de Genlis en est la personnification. À douze ans, elle n’ignore rien de ce que l’on peut savoir ; en outre, elle joue la comédie, elle peint, elle manie les instruments de musique les plus divers, surtout la harpe, dont elle touche supérieurement. Le mariage ne ralentit pas son zèle. La bibliothèque du château lui passe tout entière par les mains. Entre temps, elle se met au courant des travaux des différents métiers, fait la cuisine, botanise, lève des plans, dresse des projets d’architecture, repasse avec un chirurgien de l’endroit son ostéologie, apprend à saigner, donne aux paysans des soins qu’elle paie, il est vrai, pour s’assurer une clientèle. Son programme d’enseignement n’a pas de limites. Elle est pour le latin, sans toutefois en juger la connaissance indispensable. Elle fait une large part aux langues vivantes : à Saint-Leu, ses élèves jardinent en allemand, dînent en anglais, soupent en italien[1]. En même temps, elle invente des appareils de gymnastique : poulies, hottes, lits de bois, souliers de plomb. Rien ne la prend au dépourvu, rien ne coûte à sa plume trop facile ; elle est universelle[2]. Institutrice des filles, puis des fils du duc de Chartres, on lui demande un projet d’école rurale pour les enfants de la campagne, et elle le fournit. Son Cours complet d’Éducation prend aux yeux des contemporains les proportions d’un monument. « Pour exécuter un si bel ouvrage, écrit Grimm, il ne fallait pas moins que l’esprit de Locke, le génie de Rousseau, l’âme de Fénelon et la naïveté de Gessner. » Nous sommes loin des réserves de Fénelon et de cette pudeur qu’après lui Mme de Lambert recommandait à sa fille, comme la condition et la parure du savoir chez les femmes.

Avec Mme Campan, nous rentrons dans la mesure[3]. Si les règles de la première organisation de la Maison de la Légion d’honneur d’Écouen rappellent, sur quelques points, celles de

  1. Sainte-Beuve, Causeries du Lundi, t. III. — « Je donnai à mes jeunes princesses, dit Mme de Genlis elle-même, une femme de chambre anglaise et une autre qui savait l’italien ; de sorte qu’à cinq ans, elles entendaient trois langues et parlaient parfaitement bien anglais et français. » Mémoires, p. 184.
  2. Voir Adèle et Théodore ou Lettres sur l’Éducation.
  3. Lettre au comte de L……