habitations et ajoutent au pittoresque de ces constructions. Le marché est au milieu de ces ruines et occupe un emplacement assez considérable ; sur un des cités s’élève la mosquée, petite, basse, ornée d’un modeste minaret et ombragée d’un palmier, le seul, nous dit-on, qui soit en Kabylie. Les maisons basses, obscures, s’alignent assez irrégulièrement dans des rues étroites et tortueuses. À l’extrémité de la rue principale est le cimetière, situé sur une petite esplanade à moitié fermée par des murs dont les pans ont encore un mètre de largeur et sont peut-être les restes d’un ancien fort.
C’est avec la meilleure grâce que le président, le cheik Mohand, nous fait les honneurs de son village. Il dit au recteur d’un air à la fois fier et bonhomme : « Mais nous sommes parents ! » Il existe en effet en Kabylie une curieuse tradition d’après laquelle la tribu des Aït ou Beni-Fraouçen (fils des Francs), à laquelle appartient le village de Djémäa-Sah’aridj, descendrait des Francs : au me siècle de notre ère, de hardis aventuriers de cette nation traversèrent ia Gaule et l’Espagne et abordèrent chez les Berbères : l’historien grec Zozyme parle de cette audacieuse expédition ; nul ne dit ce qu’ils sont devenus ; mais, si l’on en croit la tradition, une de leurs bandes se serait fixée et perpétuée dans les montagnes de la Kabylie : elle aurait gardé son nom que rappelle l’appellation de Fraouçen conservée jusqu’à nos jours.
Quoi qu’il en soit de cette origine, le cheik Mohand est très dévoué à la France, à nos écoles. Il nous fait entrer dans sa maison : notre visite est attendue ; sa femme, sa belle-sœur, sa sœur, sa fille âgée de treize ans[1] et mariée depuis un an à l’instituteur-adjoint indigène de Tizi-Rached, sont de petites personnes jolies, gracieuses, mais, selon l’usage, trop fardées : elles sont en grande toilette et parées de tous leurs bijoux. Nous avons déjà dit que les femmes kabyles ne sont pas voilées[2]. Ces dames ne parlent pas français, mais sont gaies, et leur accueil est très cordial.
- ↑ Les femmes arabes ou kabyles sont très précoces ; on les voit souvent fiancées à dix ans, mariées à douze, mères à treize, quelquefois trois fois mères à seize ; par contre elles sont vieilles à vingt-cinq ans.
- ↑ La femme arabe elle-mème n’est guère voilée que dans les villes et près des villes. « Cet usage, me dit M. Ben-Sedira, n’a pas pour but de dérober au roumi les traits de la femme : c’est un luxe qui est un commencement de civilisation. » M. Belkassem-Ben-Sedira est un Biskri ; élève de M. Colombo, il fut remarque du géneral Devaux, commandant supérieur de Biskra, qui l’envoya au collège arabe français alors existant à Alger ; puis il fut reçu à l’école normale de Versailles où il conquit Le brevet supérieur avec le n° 1 du concours. II est aujourd’hui professeur d’arabe à l’école des lettres d’Alger et officier de l’instruction publique. Marié à une Française dont il a six enfants, il élève en plus un neveu dont il fera « un bon instituteur et un bon Français », me disait Mme Ben-Sedira. Il a quarante ans et est estimé et aimé de tous. Il est la preuve vivante de l’aptitude des indigènes pour l’étude et la science : il nous faudrait beaucoup de Ben-Sedira.