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L’ESPRIT DE FRATERNITÉ DANS L’ÉDUCATION

plus tard dans l’air avec des poumons : leur arracherez-vous leurs branchies sous prétexte que les poumons sont un organe supérieur ?

Comme le progrès organique, le progrès social est fait de patience, non d’impatience. Il y a solidarité entre l’avenir et le passé, l’avenir ne peul sortir du passé qu’à travers le présent. Vouloir devancer l’humanité entière, vouloir prendre son élan et son vol sans s’occuper de ceux qui marchent ou se traînent en arrière, illusion !

Progressistes, vous êtes solidaires de la tradition ; libres penseurs, vous êtes solidaires des croyants ; savants, vous êtes solidaires des ignorants. Vous avez beau dire : « Nous sommes ceux qui vont en avant, qui s’élèvent, qui volent vers l’avenir, nous sommes les ailes déployées dans le libre espace ! » Ah ! vous êtes les ailes ? Eh bien, sachez que vous ne pouvez prendre votre élan sans garder votre point d’appui sur le reste du corps ; cette masse plus lourde, qui vous semble une gêne, vous nourrit et vous soutient. Si vous vous séparez de ce point d’appui, pauvres ailes, vous serez emportées au gré des vents comme une chose morte, et vous ne vous élèverez dans le vide que pour retomber à plat sur le sol.

Un peuple est un corps en marche qui doit se mouvoir tout entier. La vraie fraternité n’est pas celle qui n’a souci que de s’élancer toujours plus loin et plus haut, sans regarder derrière elle pour voir si on peut la suivre : c’est celle qui règle son pas sur le pas de ceux qui sont plus faibles, qui leur tend la main, les entraîne en les soutenant et ne craint pas, au besoin, de se faire humble avec ceux qu’on appelle les humbles,

Nous tous, messieurs, qui voulons un progrès sans recul, travaillons à l’apaisement des dissensions et des querelles ; la discorde intérieure serait le suicide de la liberté. Que toute celte jeunesse emporte avec elle, en quittant nos écoles, non pas un esprit de fausse indépendance, mais le sentiment profond du lien qui unit entre eux les membres de la patrie ; qu’elle sache que, dans la vie civique comme dans la vie militaire, la discipline est une forme de la solidarité, le respect de la loi une forme de la fraternité nationale. La nation même est une armée où tous, serrés les uns contre les autres, le même cœur battant dans toutes les poitrines, nous allons vers les horizons lointains et l’avenir inconnu. Plus l’heure est difficile, plus nous devons rester unis. Est-ce que nos soldats, jetés en ces terres perdues d’où nous avons récemment acclamé leur retour, discutaient sur les diverses couleurs que le drapeau rassemble en ses plis ? Non, ils se disaient en le voyant : « Voilà le symbole de la patrie toujours présente, de la loi faite pour tous, de la fraternité qui doit nous unir : partout où flotteront ses couleurs, j’irai ; s’il faut mourir pour le défendre, je mourrai. En avant ! »