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L’ENSEIGNEMENT CHEZ LES INDIGÈNES MUSULMANS D’ALGÉRIE

Pendant quelque temps on a érigé en système, quand un village français ne pouvait pas vivre de ses propres ressources, de lui annexer quelque tribu indigène. Celui de Mékla, qui compte 205 Européens, s’est vu annexer l’illustre confédération des Beni-Fraoucen, forte de plus de 7,000 têtes. Le président de cette tribu, le lettré Cheikh-Mohamed, qui fut autrefois professeur d’arabe dans une de nos écoles, s’est vu réduit au rôle de simple adjoint ; il est le seul membre indigène dans le conseil municipal. La commune de Bougie s’est fait de même annexer la tribu des Benibou-Messaoud. Inutile de multiplier les exemples. La tribu ainsi annexée apporte à la communauté son contingent d’impôts, de taxes, d’amendes, sa part de l’octroi de mer ; en échange, elle ne reçoit presque rien, la municipalité élue n’ayant point à compter avec elle. Pour les colons, c’est donc tout bénéfice ; il y a là comme une subvention indirecte, permanente, que leur octroie le gouvernement ; au lieu de la leur servir en argent, la leur verse en têtes d’indigènes. Cette pratique était sévèrement condamnée par l’amiral de Gueydon, le premier gouverneur général après la grande rébellion : « Je n’admets pas, disait-il, que, dans le seul but de grossir les ressources communales, on annexe aux centres français des douars indigènes. Un maire élu, trop souvent un cabaretier, comme cela s’est vu dans les derniers temps, ne présente pas des garanties suffisantes pour qu’on lui confie l’administration de populations indigènes[1] ». Le procédé si hautement condamné par l’amiral qui réprima l’insurrection de 1871 n’en a pas moins été fréquemment appliqué depuis. Les indigènes ont beau protester : pas plus qu’ils n’élisent la municipalité, ils n’ont part à l’élection des députés ou des sénateurs. Dans l’enquête sur l’insurrection, le capitaine Villot faisait remarquer que c’est quand le régime civil est ainsi pratiqué qu’il froisse cruellement l’indigène. C’est dans certaines, communes de plein exercice qu’il a plus clairement « la perception d’une situation inégale qui le heurte et qui le blesse… Il fait des compa-

  1. Déposition de l’amiral de Gueydon devant la Commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur les actes du gouvernement de la Défense nationale en Algérie. Séance du 22 mai 1874, Officiel du 1er mai 1875, page 4140. - Cette déposition est reproduite en annexe au Rapport de M. de la Sicotière sur les événements de 1870-1871 en Algérie ; Versailles, 1875, 2 vol. in-8°.