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LA PRESSE ET LES LIVRES

je ne parle ici que des tragédies étudiées par M. Liéby. Tout cela pourtant a-t-il besoin d’être étendu en de longues dissertations ? Point du tout : en des livres de cette nature, une indication, un souvenir, un rapprochement suffiront. Mais il en faut prendre son parti, l’histoire est désormais l’inséparable compagne de la littérature, j’entends l’histoire des sentiments et des idées beaucoup plus que celle des faits.

Ce qui me plaît dans ces études un peu trop compactes et coupées, c’est, avec le travail sérieux et le goût pénétrant dont elles témoignent, une réelle indépendance de jugement. L’auteur sait admirer, et parfois même semble décidé à voir tout en beau, puisqu’il réhabilite les rôle de l’infante et du roi dans le Cid. Il sait critiquer aussi, mais il n’y a rien de convenu dans ses admirations ni dans ses critiques. Pour ne parler que de celles-ci, voici quelques appréciations qui ne sont point d’un commentateur béat et d’avance satisfait sur la foi des anciens thuriféraires de la critique :

« Manquant à la fois de l’unité d’action et d’une unité d’intérêt bien fixée, offrant d’ailleurs un cinquième acte qui affaiblit le pathétique au lieu de le faire croître ou, tout au moins, de le soutenir, Horace semble bien être, comme œuvre dramatique, inférieur, dans l’ensemble, à des pièces telles que le Cid ou Polyeucte… Un rôle de Cinna assez équivoque par lui-même, gâté d’ailleurs plutôt que relevé par le voisinage de Maxime ; un rôle d’Auguste quelque peu compromis par l’intervention de Livie ; une Émilie devant qui notre admiration hésite, voilà ce que nous trouvons dans Cinna. Que reste-t-il, alors, de cette tragédie ? "Un beau dénouement, sans doute, qui est, comme le remarque Voltaire, la plus belle situation de la pièce ; dans le reste, de grandes et belles scènes, parfois émouvantes et vraiment pathétiques, parfois un peu froides, mais toujours majestueuses. Ce n’est pas assez pour faire un ensemble fortement attachant. À côté d’une pièce comme le Cid, par exemple, éternellement jeune, au moins dans son ensemble, Cinna, comme œuvre dramatique, a vieilli:cela reste toujours un beau poème, ce ne peut plus être pour nous qu’une assez froide tragédie. »

Je ne garantirais point l’exactitude absolue de ces critiques, et n’admettrais pas, par exemple, que les conseils intéressés de Livie gâtent la clémence d’Auguste, que Corneille, par opposition précisément, a voulu peindre toute désintéressée (car Livie n’est pas écoutée au quatrième acte, et la clémence d’Auguste n’éclate qu’au cinquième après un long combat). Mais je suis ravi, je l’avoue, chaque fois que je vois secouer, même avec une certaine inexpérience et brusquerie de jeunesse, les antiques lieux communs sur lesquels s’endorment les innombrables candidats à nos innombrables examens. Cela trouble un peu leur quiétude ; si la plupart se rendorment après, quelques uns réfléchissent, y regardent de plus près, et jugent par eux-mêmes.

L’Abandonné. Mœurs contemporaines, par Dubut de Laforest ; Paris, Dentu, 1892. Ce livre plaide la cause de l’enfance abandonnée. Un