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Page:Revue pédagogique, second semestre, 1904.djvu/423

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BIBLIOGRAPHIE

se désintéressent de l’idée de justice (p. 78-79). « On parle d’amour, et on n’enseigne pas à aimer la justice. » (p. 92). En 1848, dit Renouvier, qui se reporte volontiers aux belles années de sa jeunesse, j’ai connu des ouvriers qui étaient de nobles caractères et de grands cœurs. « a On ne savait peut-être pas exactement ce qu’était la justice, mais on l’aimait (p. 98-99). » Et il insiste sur un système d’éducation qui, peu à peu, par la pitié, élèverait l’âme de l’enfant à la justice. Celle-ci lui paraît résumer d’un mot l’avenir, et de la philosophie et de la démocratie elle-même, les deux étant étroitement liées dans sa pensée. Il est sévère pour la philosophie, ou du moins pour ceux qui prétendent aujourd’hui la représenter, à part trois ou quatre noms, qui sont en effet, avec Renouvier lui-même, les maîtres de notre génération (p. 79) ; (à part aussi Auguste Comte, qui était un génie, et puis qui était comme lui, enfant de la même ville, Montpellier, qu’il appelle familièrement, avec ses compatriotes, le Clapas (p. 80,. Mais la plupart manquent des deux qualités qui seules fout un philosophe : ils bâtissent, sans avoir suffisamment appris le métier de maçon, ils ignorent la logique et ses lois, ils n’ont point de méthode : p. 83) ; et puis ils ont peut-être de l’esprit, du talent, mais « ils philosophent sans enthousiasme ». Et le vieux lutteur accable de sarcasmes « ces analyses minutieuses de cas d’hystérie ou de neurasthénie », mettant bien au-dessus, par exemple, « l’Affaire Crainquebille » d’Anatole France (p. 81) ; quant au nietzschéisme, dont quelques-uns sont entichés, « c’est, dit-il, la folie des grandeurs érigée en système par un fou », et pas n’est besoin d’avoir lu Nietzsche pour se déclarer un surhomme, témoin les Apaches de Paris (p. 86) : le philosophe se contenterait d’être un homme vraiment digue de ce nom, une vraie personne humaine. Il n’est pas moins sévère pour la démocratie, ou du moins pour ceux qui prétendent la diriger ; il ne craint pas de prononcer à leur adresse le mot de « rosserie » (p. 99). D’une part, il ne croit pas à la Science comme facteur unique de tout progrès ; au contraire, elle pourrait devenir « une excellente méthode d’abêtissement ». D’autre part, s’il approuve la guerre sans merci que Île ministère Combes fait aux congrégations, a la guerre au fanatisme, à l’intolérance, à l’injustice, étant une guerre sainte » (p. 99-100), il n’est pas sans inquiétude sur les suites de la victoire : il redoute l’athéisme, qui serait une « anarchie morale ». Toujours ferme d’ailleurs dans sa condamnation du papisme (p. 102), il n’ose plus reparler du remède qu’il indiquait en 1876, à savoir l’adhésion à un protestantisme libéral (non pas tant pour adhérer à une confession nouvelle, que pour bien marquer qu’on se sépare nettement de l’ancienne), et propose timidement, ce semble, « une philosophie qui pourrait être une religion ou du moins en tenir lieu », le Personnalisme (p. 105). Entendons-nous bien sur cette apparente timidité ; ce n’est pas qu’il s’en défie lui-même : « notre doctrine est belle, dit-il, elle est consolante, elle est la vérité » (p. 7). Mais, dans sa modestie très sincère, il pense qu’il y